Comment porter le savoir-faire "ancestral" et le transformer en produit moderne 100% tunisien

Comment porter le savoir-faire "ancestral" et le transformer en produit moderne 100% tunisien
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Mokacioccolatah est une marque qui vous propose du 100% Made in Tunisia, entre des vêtements pour hommes et femmes, des accessoires pour votre maison et des bijoux. Cette marque a vu le jour il y a un an, et emploie une quarantaines d'artisans dont la majorité sont des femmes. Nous sommes partis à la découverte de cette nouvelle enseigne 100% tunisienne au nom italien. Sa créatrice Myriam Ben Romdhane dévoile les secrets de sa réussite et ce qu'elle pense de l'artisanat tunisien qui il lui tient à cœur.

Un master "Made in Italy"

Et si vous nous présentiez "Mokacioccolatah" ? D'où vient cette idée ?
Fuyant une carrière d'architecte tout à fait tracée et prévisible, je me suis essayée à m'orienter vers mon premier amour qui est le design et de m'amuser à faire ce que j'avais vraiment envie de faire. Après, de me pencher sur une question aussi compliquée que l'artisanat tunisien. Ça vient simplement d'une sorte de prise de conscience, à l'école à Milan, il y avait un master qui s'appelait "Made in Italy" et les gens sont en train de faire un parcours aussi atypique et sont en train de devenir les ambassadeurs du "Made in Italy" un petit peu partout dans le monde et c'est assez spécial. Donc je me dis ok concernant le "Made in Tunisia". On est où exactement ?

Le designer tout seul ne peut pas avancer parce qu'il a besoin des artisans

Et là tu es en face d'un vrai dilemme, parce que où que ce soit dans le souk, le vrai nid de l'artisanat "tunisien" ou dans les boutiques de designers, qui ne sont pas nombreuses, ça laisse perplexe parce que déjà dans les souks on est confrontés à des marchandises qui viennent un petit peu de partout. On a du "made in China" à 80% et des gens qui essayent de bosser, de concurrencer la Chine qui dévore tout sur son passage et qui n'y parviennent pas. Donc on se dit : à qui la faute ? Le designer tout seul ne peut pas avancer parce qu'il a besoin des artisans ; les artisans eux-mêmes sont confrontés aussi à beaucoup de problèmes parce qu'ils ne connaissent pas l'autre bout du tunnel, ils ne le voient pas.
Quelles difficultés avez-vous rencontré ?
Pour le lancement du projet, on a vraiment galéré, comme je l'avais imaginé je voulais faire une sorte de coopérative qui réunit des artisans et des designers. Ce n'était pas possible parce que le texte de loi date des années 50 et que c'est un truc absolument non applicable. L'Etat peut se pencher sur les questions essentielles qui vont faire fuir les gens qui veulent investir.

Le dénominateur commun est le "made in Tunisia"

Quels sont les produits commercialisés ?
Peu importe la forme du produit, on a deux lignes, une ligne "home", tout ce qui a rapport avec la maison, linge de maison, meubles d'appoint, et une ligne "style" qui comporte le prêt à porter hommes et femmes et les accessoires.

Comment porter le savoir-faire "ancestral" vers un consommateur averti

C'est vrai que c'est assez vaste mais le dénominateur commun de tout ceci est le "made in Tunisia" et comment porter le savoir-faire "ancestral" vers un consommateur averti, moderne et absolument dans l'air du temps. Des fois, ça part vraiment d'un produit, ça dépend de l'acheminement à faire, des fois je me penche sur un produit qui existe déjà, des fois non. Par exemple, le "safsari" et le fait de le revoir différemment, de voir le tissage et le savoir-faire de l'artisan qui tisse et de pouvoir appliquer ce savoir-faire est aussi un autre cheminement. Ou de prendre le produit et le "moderniser" et se pencher sur une matière première 100% tunisienne et typique ou une inspiration, une idée, une genèse, quelque chose qui soit dans cet ADN tunisien oh combien compliqué.

"On peut adapter une matière première et intervenir dessus avec une autre manière"

Le passage par les artisans de métier est-il obligatoire ?
Le passage aux artisans est un passage essentiel, on peut avoir une matière première tunisienne et l'adapter, intervenir dessus d'une autre manière, il n y a pas de calculs, de barrières, d'obligation vers qui que ce soit, ce n'est pas un contrat. Parfois on laisse un petit peu d'air à l'artisan pour qu'il s'éclate un petit peu dans ce qu'il fait et cela nous permet de découvrir plein de choses qu'on ne connaissait pas dans ce savoir-faire.Il y a les brodeuses, les tisseurs, les tapissiers, les ébénistes, le travail de bois, le menuisier, le travail de la soie qui est aussi très intéressant, on a le lin travaillé avec un tissage artisanal, le cuivre...

"On privilégie les femmes"

  On travaille pratiquement de façon continue avec 40 personnes éparpillées un peu partout, on privilégie bien évidemment les femmes parce que je les considère, surtout en milieu rural, vivant dans des conditions défavorisées et de leur réussite dépend celle toute une famille. Il y a beaucoup de gens qui comptent sur elle, on a l'impression de contribuer dans l'amélioration de toute un hémisphère.

"On a la chance d'avoir une clientèle qui a le souci du détail, de l'environnement"

Comment qualifiez-vous votre travail ?
On a commencé il y a exactement un an. Il y a une énorme différence entre la façon avec laquelle on peut entrevoir son projet et la façon avec laquelle on peut exercer son travail dans la vie de tous les jours. Mokacioccolatah s'inscrit dans un cadre d'entrepreneuriat social pur et dur, dans ce cadre là je n'ai reçu aucun financement, d'aide morale.
Quelle est la clientèle visée ?
On a la chance d'avoir une clientèle assez avisée qui n'est pas dans la consommation de masse, elle est plus pour un produit qui a le souci du détail, de l'environnement duquel il vient et elle sent qu'elle contribue au développement du design et du produit.

"On est dans la démocratisation du design"

Vous avez lancé récemment un concours sur instagram, allez-vous poursuivre dans ce mode de communication ?
On est une jeune marque, on vise les jeunes et on veut les convertir à un mode de consommation et les sensibiliser à tout ça, d'une manière qui reste ludique facile et qui peut les approvisionner facilement. Même si nos pièces sont des pièces uniques, on ne va pas se dire "moi je vend un bracelet à 3000 dinars parce que c'est une pièce unique", c'est pas élitiste dans le sens élitiste du portefeuille, élitiste dans la tête, dans la façon de penser, dans la façon d'aborder les choses et ça c'est très important. On est dans la démocratisation du design.

La "fouta et blousa" peut se porter avec des baskets, les "dengri" peuvent se porter dans les mariages

On a choisit la carte de la facilité, c'est à l'image de nos créations, légères, modernes, qui s'inscrivent dans des intérieurs nouveaux. C'est pas l'artisanat lourd qu'on ne porte que pendant les occasions assez importantes. On a la "fouta et blousa" qui peut se porter avec des baskets, on a les "dengri" qui peuvent se porter dans les mariages, on a le "safsari" qui peut se porter sur la plage. Le mode change et ça c'est le plus important.

S'élever à un autre niveau de finition

Comment voyez-vous l'avenir de Mokacioccolatah ?
Mokacioccolatah ouvrira la porte à d'autres marques encore. Le plus d'important est d'arriver à réunir ces artisans et ces gens autour de nous qui bossent et de pouvoir leur offrir des centres de formation, stages, une ouverture nouvelle qui puisse leur apprendre leur savoir-faire déjà acquis et de pouvoir s'élever à un autre niveau de finition parce que le problème reste et sera toujours le souci du détail, la qualité ou comment perfectionner son produit et comment l'élever à devenir un produit concurrentiel et qui n'a rien à envier à des produits de luxe. C'est ça le but et derrière mon seul objectif pour le moment c'est de pouvoir réunir ces gens là et leur offrir quelque chose qu'ils vont acquérir, le fait de développer leur savoir faire, la matière.



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