Peut-on faire confiance aux banques tunisiennes ?

Peut-on faire confiance aux banques tunisiennes ?
National
print



ANALYSE | Par Dorra HarrarLa période de turbulences économiques et politiques, succédant aux événements du renversement du régime en Tunisie en 2011, est venue aggraver la situation du secteur bancaire tunisien, qui souffrait déjà de problèmes structurels. Dans ces conditions, on pourrait se poser la question de savoir si les ménages font encore confiance aux banques. La confiance de ces derniers est en effet indispensable à leur survie, les dépôts des clients constituant leurs principales ressources. Les principaux problèmes du secteur bancaire tunisien Avant d’examiner cette confiance, cernons d’abord les principaux problèmes du secteur bancaire tunisien : Le marché bancaire tunisien est relativement fragmenté et marqué par une forte présence des banques publiques. Il est principalement contrôlé par les 11 banques cotées à la Bourse de Tunis : celles-ci accaparent près de 92% des dépôts totaux du secteur bancaire, du fait de leur présence historique, l’orientation de leur activité à caractère universel, ainsi que le nombre de leurs agences (91% des agences bancaires sur le sol tunisien). Nous pouvons les classer en trois catégories :
  •        Les banques publiques (3),
  •        Les banques à capitaux privés tunisiens (4),
  •        Les banques contrôlées par des institutions étrangères (4).
Les problèmes de ces banques sont différents selon la catégorie à laquelle elles appartiennent, ainsi : Les banques publiques souffrent d’une faible gouvernance, de leur dépendance au ministère des Finances, d’un sureffectif,  de faibles compétences et d’un système d’information obsolète. Elles ont un besoin urgent de recapitalisation. Les banques privées à capital tunisien, quant à elles, souffrent de la faiblesse de leurs capitaux propres, d’une forte dépendance de la santé financière de quelques grands groupes et d’absence de réseaux à l’étranger. Enfin, les banques privées à capitaux étrangers ont des problèmes de compétitivité, car elles sont soumises aux contraintes strictes des groupes auxquels elles appartiennent (normes, risques..). La fragilité du système bancaire tunisien a été accentuée par le recours de l’ancien président et ses proches à des prêts dont la rentabilité économique était souvent inexistante. Ce problème d’autonomie de décision était à l’origine de fragilités beaucoup plus prononcées dans les banques publiques qui, en plus du coût du financement de secteurs spécifiques de l’économie, en l’occurrence le tourisme et l’industrie, et du coût de l’appui apporté aux entreprises publiques, devaient financer ces crédits. A fin septembre 2012, le taux des créances improductives a atteint 17,8% pour les banques publiques contre 10,6% chez les banques privées. Par ailleurs, ces taux ont atteint  20% du total des prêts accordées en 2014, cinq fois supérieur aux normes internationales, étant donnée l’autorisation de la BCT accordée aux banques en 2011, pour rééchelonner les dettes des sociétés affectées par les troubles politiques. Le ¼ de ces impayées est imputable au secteur du tourisme. Méfiance des Tunisiens des banques ? Au-delà de ces problèmes inhérents au système bancaire, regardons si ce dernier n’a pas souffert de la suspicion des ménages après la révolution : Les dépôts des ménages constituent les principales ressources des banques. Regardons leurs évolutions pour avoir une idée sur l’état de la confiance des ménages dans les banques : les taux de progression des dépôts ont été respectivement pour les années 2010, 2011 et 2012 de 12,3%, 5,1%, et 11,3%. Le ralentissement des dépôts en 2011 est très remarquable. Il s’expliqueraient par l’instabilité et par les problèmes sécuritaires qu’a connus le pays à cette époque. Les dépôts ont repris en 2012 : +9%. Mais en 2013, ils ont atteint une progression de seulement 7,3%  intégrant la décélération simultanée de l’encours des dépôts à vue et des comptes d’épargne. Mais cette décélération n’atteint pas le niveau relevé en 2011. Le conseil d’administration de la Banque Centrale, réuni le premier septembre courant, a noté une évolution positive du rythme des dépôts au cours des sept premiers mois de l’année en cours de +6% contre +2,6% pour la même période en 2013. Les ménages ne paniquent pas, ils garderaient une relative confiance dans les banques. Qu’est-ce qui fait que les ménages restent sereins vis-à-vis de leurs banques ? Une relative confiance aux banques en Tunisie Nous avons consulté l’avis de quinze personnes pour comprendre les causes de cette sérénité. L’échantillon,n’est certes pas très représentatif, mais il peut nous donner une certaine idée de cet état d’esprit. La totalité des personnes contactées ne croient pas à une éventuelle faillite des banques. EIles sont persuadées que l’Etat, grâce aux instruments dont il dispose, serait toujours là pour réguler le système bancaire. Par ailleurs, elles estiment que les banques privées se portent bien. Le programme de restructuration des banques publiques porterait ses fruits, notamment après les élections qui déboucheraient sur un exécutif plus solide. Par contre, le terrorisme constitue, à leurs yeux, le danger principal qui menace la stabilité de l’Etat, et donc celle des institutions du pays, dont le système bancaire. Six personnes parmi celles que nous avons interrogées déclarent leur inquiétude quant au faible taux de croissance économique d’à peine  2,1%. Ils appréhendent l’augmentation du taux d’inflation, véritable danger pour leurs épargnes. Certains dénoncent le clientélisme des banques qui accordent des crédits alors que le client ne répond pas aux conditions nécessaires pour y accéder. De ce fait, les banques souffriraient  d’un volume de créances douteuses important d’après elles. La confiance en l’Etat en tant que régulateur serait donc la base de la confiance des ménages en le système bancaire, d’après les personnes interrogées. Ainsi, face au manque de liquidités, les banques tunisiennes ont été amenées à recourir au refinancement auprès de la Banque centrale.  Qu’en pensent les spécialistes ? Un directeur d’une banque publique, qui a préféré garder l’anonymat, nous explique que comme toute entreprise, une banque peut faire faillite. Mais cela n’est pas actuellement éventuel pour les banques tunisiennes, du moins à court terme. Cela étant dit, il faut avouer que le secteur bancaire  a besoin d’une amélioration du climat des affaires et d’une restructuration profonde. En effet, il peut subir des chocs, macroéconomiques notamment, une croissance économique faible et une volatilité de l’inflation et des taux d’intérêt. Quant à la restructuration, elle doit s’atteler à la recapitalisation (augmentation du capital social, mises en réserves des bénéfices) et à la fusion des trois banques publiques. Celle-ci doit s’accompagner  d’une limitation de l’intervention publique,  et d’une adoption de modes de gouvernance et de réglementation prudentielle conformes aux standards internationaux. L’audit de ces trois établissements serait un pas positif vers cette restructuration. L’Etat a déjà prévu des ressources budgétaires permettant une éventuelle recapitalisation de ces banques s’élevant à 500 MDT en 2014. Les banques privées à capital tunisien devraient changer de mentalité (entreprises familiales), afin de se regrouper pour réaliser des économies d’échelle et améliorer leur compétitivité. Par ailleurs, regroupées, elles auraient plus de possibilités de s’implanter à l’étranger. Défis à relever par les banques tunisiennes La faillite des banques est peu probable pour le moment, mais le système bancaire tunisien, a besoin de relever des défis de gouvernance, structurels et systémiques. Les banques ont besoin de la confiance des ménages pour collecter des ressources. Pour bien utiliser ces fonds,  les entreprises sont à leur tour  appelées à améliorer leur gouvernance, et à fournir aux banques des informations plus transparentes et plus fiables. Cela aiderait les banques à mieux apprécier leurs risques.    
  Dorra Harrar | Formatrice dans les métiers du Tertiaire ayant occupé le poste de Directrice d'un centre de formation. Maïtrise finances, Master enseignement à distance. Blogueuse  Amel Jaet milles et une Tunisie Active dans la société civile              



Commentaires

André Parant juge nécessaire de préserver les acquis démocratiques en Tunisie

Précédent

Accès au marché du travail suisse pour les Tunisiens : Opportunités et perspectives

Suivant