Nadia Chaabane (Al Massar) : «Aucun parti ne pourra gagner les élections, sans coalitions»

Nadia Chaabane (Al Massar) : «Aucun parti ne pourra gagner les élections, sans coalitions»
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Nadia Chaabane, députée d’Al Massar, nous parle de l’actualité de son parti notamment le congrès constitutif, le retrait d’Ahmed Brahim du secrétariat général d’Al Massar et les préparatifs pour les prochaines élections. Pouvez-vous nous rappeler, tout d’abord, pourquoi vous avez critiqué l’ambassadeur de la Tunisie en France, la semaine dernière ? L’ambassade de la Tunisie en France a organisé, la semaine dernière, la deuxième édition de «la semaine tunisienne en France». Et il se trouve qu’aucune information officielle ne nous a été communiquée de la part de l’ambassade. Personnellement, j’estime qu’en tant qu’élue dans la circonscription France 1, il était, quand même, important pour l’ambassade de m’informer, moi et mes collègues à l’Assemblée nationale constituante (ANC), de la tenue de cet évènement. Mais, j’ai été surprise de recevoir l’information par le biais d’un mail envoyé par le parti Ettakatol !

«Pour la semaine tunisienne en France, j’ai été surprise de recevoir l’information par le biais d’un mail envoyé par le parti Ettakatol»

Donc, ma critique portait, essentiellement, sur cet ambassadeur pro-Ettakatol, qui était formé par l’école du parti et non pas par l’école de la diplomatie et de la Tunisie. Le problème qui s’est posé est, donc, l’instrumentalisation d’une ambassade par un parti et la confusion de genre entre une institution de l’Etat, qui est censée être neutre, et un parti politique. Dans quel état d’esprit êtes-vous, aujourd’hui, après la décision de Nidaa Tounes de se présenter seul aux élections ? Vous savez, lorsqu’on construit une coalition politique, que l’on aille jusqu’à faire un Front du salut national ensemble pour sauver le pays, que l’on coordonne toutes nos actions autour de ce qui se passe dans l’ANC et dans le gouvernement, ça nous semble évident qu’on aille ensemble vers la construction d’un front électoral, chose qui n’a jamais été, d’ailleurs, démentie auparavant par Nidaa Tounes. Mais, attendre comme ça le dernier moment pour annoncer cette décision, je trouve cela déplorable et dommageable pour la Tunisie. En effet, la période par laquelle on passe nécessite une coalition très large de manière à pouvoir mettre en place les institutions du pays en toute sérénité, après les prochaines élections législatives, et pour cela on a besoin d’avoir une majorité de démocrates unis. Cela nous semble nettement plus intéressant et plus constructif, surtout qu’on s’est battu ensemble par rapport à la Constitution. Ce qui nous déplorons, donc, c’est le fait que Nidaa Tounes ait favorisé ses intérêts à ceux de la patrie.

"Ce n’est pas la décision de Nidaa Tounes qui va ébranler notre avancée vers les élections législatives"

Est-ce que la décision de Nidaa Tounes de se présenter aux prochaines élections en dehors de l’Union pour la Tunisie (UPT) vous a surprise ? C’est surtout les citoyens, qui attendaient l’unification des forces démocrates, qui ont été surpris. Ils ont été extrêmement déçus. La semaine dernière, en effet, j’ai été interpellée à plusieurs reprises, dans la rue, par des personnes qui étaient choquées par la décision de Nidaa Tounes. C’étaient des gens qui n’appartiennent ni à Al Massar ni à Nidaa, mais qui étaient en attente d’une unification des forces démocrates pour se prononcer et pouvoir aller dans un sens ou dans un autre. L’UPT est-elle compromise aujourd’hui ? Si les autres composantes de l’UPT, manifestent l’envie de continuer cette expérience et d’aller vers un front électoral plus large, on le fera. Ce n’est pas la décision de Nidaa Tounes qui va ébranler notre avancée vers les élections législatives. Avec cette division entre les partis «démocrates», ne pensez-vous pas que les chances d’Ennahdha de remporter les prochaines élections deviennent plus sérieuses ? Ennahdha ne peut pas gagner toute seule. Elle aura besoin de coalitions. D’ailleurs, aucun parti ne pourra gagner les prochaines élections, sans entrer dans des coalitions. Maintenant, la question est juste de savoir quelles formes vont prendre ces coalitions là et qui sera avec qui.

Je ne sais pas ce que veut dire «un président consensuel»

Lors du congrès national constitutif d’Al-Massar, M. Ahmed Brahim, secrétaire général du parti, a confirmé son intention de ne pas se porter candidat à sa propre succession. Ce choix n’était-il pas une réaction face à la décision de Nidaa Tounes d’enter seul dans les élections ? Pas du tout. «Sid Ahmed» a annoncé sa décision, il y a déjà plusieurs mois, lors du conseil central du parti. Cela n’a rien à voir avec Nidaa Tounes. Au sein d’Al Massar, on était tous au courant de cela et on respecte sa décision. D’un autre côté, lorsqu’on croit à l’alternance politique et à la démocratie au sein d’un parti, une telle décision paraît tout à fait normale. Cela montre, en effet, que le parti est en bonne santé et qu’il a une dynamique interne. Mais sinon pour revenir à M. Ahmed Brahim, il faut préciser que ce dernier reste avec nous dans le parti et qu’il ne le quitte pas, et ce, malgré son départ du secrétariat général. Quel est votre avis sur la proposition d’Ennahdha de choisir un candidat consensuel à la présidentielle ? Personnellement, je ne sais pas ce que veut dire «un président consensuel». Dans ce cas-là, passons-nous des élections et faisons, aussi, une assemblée consensuelle. Cela n’a vraiment pas de sens ! Excusez-moi, mais lorsqu’on parle d’élections, on parle de souveraineté du peuple. On ne doit, donc, pas prendre de décisions à sa place. Cette idée de choisir un candidat consensuel pour la présidentielle est, à mon avis, un peu farfelue et c’est un peu se moquer du peuple. Si cela devait se concrétiser, ça serait un simulacre d’élection, et non pas des élections.

"Il y a eu beaucoup de calculs partisans au niveau de la composition de l’Instance Vérité et Dignité"

Comment avez-vous accueilli la nomination de Mme Sihem Ben Sedrine à la tête de l’Instance «Vérité et Dignité» ? Sincèrement, je vois qu’il y a eu beaucoup de calculs partisans au niveau de la composition de cette Instance. Il n’y a pas eu, aussi, de transparence autour de l’élection de ses membres. La commission de sélection des candidatures à l’instance Vérité et dignité a, en effet, travaillé à huis clos. Aujourd’hui, ce que je voudrais c’est que cette Instance fonctionne de la manière la plus transparente possible, autrement tout le processus de la justice transitionnelle pourrait être compromis. Lorsqu’on parle de justice transitionnelle, on parle, quand même, d’un processus extrêmement important (interpellation, connaissance de la vérité, réconciliation), qui nécessite des personnes objets d’un consensus réel dans la société et dont la crédibilité n’est pas mise en cause. J’aurais, donc, préféré voir, à la rigueur, un illustre inconnu à la tête de cette Instance. Car lorsque je vois tous les critiques qui visent cette Instance, je me dis qu’on est mal parti. Sinon, je n’ai aucun problème avec les membres actuels et je leur souhaite bonne chance dans leur travail. Ne voyez-vous pas que la réussite du processus de la justice transitionnelle dépend essentiellement des lois en vigueur et non pas des personnes ? Les personnes sont importantes aussi, dans le sens où ce sont ces dernières qui vont appliquer les lois. Cette Instance a beaucoup de pouvoir, donc elle est capable d’orienter le processus dans un sens ou dans un autre. Par exemple, concernant la question d’indemnisation, le texte ne dit pas sous quelle forme cette indemnisation aura lieu. Est-ce que cette indemnisation sera collective, individuelle, symbolique, etc. ? On ne le sait pas. Donc, cela reviendra à l’Instance de trancher. Tout ce que je souhaite c’est qu’ils ne réduisent pas le processus de justice transitionnelle à l’attribution de chèques. Cela n’aura aucun intérêt. Le plus important, dans ce genre de processus est de connaitre la vérité et de la mettre au centre de la justice transitionnelle.

"Lorsqu’on voit qu’au niveau de l’ANC, il y a, tous les quatre matins, une motion de censure contre tel ou tel ministre, on se demande si on n’aurait pas mieux fait de laisser ces ministres travailler"

Enfin, comment évaluez-vous le rendement du gouvernement Jomaa ? Je trouve que le gouvernement Jomaa a été mis en difficulté dès sa nomination, dans le sens où il n’a pas été soutenu. Le Front du salut, par exemple, qui s’est engagé à le soutenir ne l’a pas fait. En effet, lorsqu’on voit qu’au niveau de l’ANC, il y a, tous les quatre matins, une motion de censure contre tel ou tel ministre, on se demande si on n’aurait pas mieux fait de laisser ces ministres travailler. Sinon, on sent que ce gouvernement est plus un gouvernement destiné à gérer une période transitoire, en attendant des élections, qu’un gouvernement engagé dans de vraies réformes. Pour le moment, on en est très loin des grandes réformes de toute façon, surtout en ce qui concerne la question sécuritaire, qui est fondamentale pour booster la réforme économique. Par contre, il y a des points positifs tels la réussite de l’emprunt national, une idée qui, rappelons-le, a été initiée par «Al Massar» en 2011.

Propos recueillis par Slim MESTIRI




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