Samir Dilou : «La Troïka aurait dû se montrer plus ferme dans la lutte contre le terrorisme»

Samir Dilou : «La Troïka aurait dû se montrer plus ferme dans la lutte contre le terrorisme»
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Lors de cette interview, le dirigeant nahdhaoui et ex-ministre des Droits de l’Homme et de la Justice transitionnelle, Samir Dilou, nous parle de sa vie d’ex-ministre, de ses souvenirs avec Ennahdha à l’occasion de son 33e anniversaire, et de l’actualité de son parti. Cinq mois après votre retrait du gouvernement, à quoi ressemble votre vie d’ancien ministre ? Ma vie d’ex-ministre est assez ordinaire. Elle est consacrée, essentiellement, aux réunions internes de mon parti et aux meetings aux quatre coins du pays. D’ailleurs, depuis février dernier, j’ai participé à des dizaines de meetings d’Ennahdha dans tout le territoire tunisien. Je passe une bonne partie de mon temps à lire, à écrire et à apprendre à jouer de la musique. Je m’occupe, également, de mes deux petites filles et j’essaie, autant que possible, de réduire mes apparitions médiatiques.

«J’essaie, autant que possible, de réduire mes apparitions médiatiques»

J’estime, en effet, que nous avons passé plus de deux ans sous les projecteurs et qu’il faut, aujourd’hui, laisser la place à nos successeurs, afin que ces derniers puissent travailler dans de bonnes conditions. Sinon, ma vie après le ministère a changé dans le sens où je n’ai plus les mêmes responsabilités et le même stress qu’avant. En effet, lorsqu’on est ministre, notre esprit travaille même dans le sommeil. D’ailleurs, aujourd’hui, lorsqu’on me souhaite d’être présent dans la composition gouvernementale post- élections, je réponds : «Ah non, merci. Il n’en est pas question !»

«Mon pire souvenir, le sit-in tenu en janvier 2013, à la Kasbah»

A l’occasion du 33e anniversaire de votre parti Ennahdha, quelle est, en tant que militant de longue date, votre meilleur et votre pire souvenir au sein du Mouvement ? D’abord, il convient de rappeler que j’ai rejoint Ennahdha au début des années 1980. Et parmi tout ce que j’ai vécu, tout au long de ces décennies, au sein du Mouvement, j’estime que mon pire souvenir était le sit-in, tenu en janvier 2013, à la Kasbah, et dans lequel certains ex-prisonniers de droit commun se sont entremêlés avec les vrais militants, qui s’étaient mobilisés pour réclamer leurs droits les plus légitimes. A l’époque, j’étais ministre des Droits de l’Homme et de la Justice transitionnelle, et je me suis maîtrisé pour ne pas faire de réactions. Sinon, mon meilleur souvenir reste, sans aucun doute, l’adoption de la nouvelle Constitution. Sur un plan plus personnel, la naissance de ma fille, en 2007, reste, aussi, l’un de mes plus beaux souvenirs. Dans un communiqué publié récemment, Ennahdha a plaidé pour «le consensus et le dialogue». Est-ce que cette position est due à un sentiment de faiblesse vis-à-vis de ses rivaux politiques ? Les concessions ne sont pas forcément dues à un sentiment de faiblesse, mais plutôt à une volonté pour prévaloir l’intérêt national. Lors de cette période transitionnelle très critique, la rivalité partisane classique n’a pas lieu d’être. La priorité aujourd’hui reste, en effet, de bâtir des institutions solides et durables, grâce à un consensus regroupant la majorité des couleurs politiques.

«Est-ce qu’il y a vraiment des personnes expérimentées en Tunisie, à part ceux contre qui la Révolution s’est levée ?»

Que répondez-vous à ceux qui estiment qu’Ennahdha a beaucoup perdu de sa popularité, après son expérience au pouvoir ? Le gouvernement est une expérience pas vraiment évidente, surtout avec les contraintes intérieures et extérieures qu’on peut rencontrer. Beaucoup de gens ont souhaité l’échec de la Troïka, en ne pensant jamais aux répercussions que cet éventuel échec pouvait avoir sur ce pays. Et lorsqu’on a proposé à plusieurs de ces partis politiques de créer un gouvernement de salut national, après les élections, la plupart d’entre eux ont refusé. Certes, l’expérience nous manquait au pouvoir. Mais est-ce qu’il y a vraiment des personnes expérimentées en Tunisie, à part ceux contre qui la Révolution s’est levée ? Lorsqu’on a accepté de participer à l’épreuve du pouvoir dans cette période critique, nous savions que nous risquions gros, et ce, sur plusieurs plans, notamment sur le plan de la popularité. Aujourd’hui, le gouvernement de M. Jomaa continue de vivre les mêmes difficultés, et les gens qui nous critiquaient commencent à comprendre que changer la réalité est plus difficile qu’ils ne le pensaient.

«Ahmed Néjib Chebbi un camarade de parcours dans la lutte contre la dictature»

Quelle est votre réaction face à l’implication de l’un des cadres d’Ennahdha, à la cité Ettahrir, dans une affaire d’attouchements sexuels sur une mineure ? Sincèrement, je ne vois pas l’utilité de cette question, surtout après la libération de l’accusé en question, qui n’assumait, de surcroît, aucune responsabilité au sein d’Ennahdha. De plus, cet accusé a été libéré et, en tant qu’avocat, je peux vous affirmer que si cette accusation était fondée, on ne l’aurait pas relâché aussi facilement. La justice ne badine pas avec ce genre de dépassements. Qui sera le candidat d’Ennahdha pour la présidentielle ? Pour l’instant, nous n’avons ni discuté, ni tranché sur cette question. Tout reste ouvert. Mais personnellement, je suis pour le choix d’un candidat consensuel soutenu par un groupe de partis. Ce candidat consensuel peut-il être M. Ahmed Néjib Chebbi ? D’abord, il convient de souligner que notre relation avec M. Ahmed Néjib Chebbi est très bonne. Nous le respectons beaucoup, car c’est un camarade de parcours dans la lutte contre la dictature. Nous avons eu, certes, quelques différences de point de vue avec lui, avant les élections du 23 octobre, mais cela n’a rien changé en la solidité de notre relation. M. Ahmed Néjib Chebbi est, sans doute, parmi les candidats sérieux pour la présidentielle mais, comme je viens de vous le dire, à Ennahdha, on n’a pas encore tranché sur cette question. De toute façon, si on soutient M. Chebbi, ça ne sera pas une surprise, et si on soutient un candidat des nôtres, je ne pense pas que M. Chebbi et ses camarades seront surpris. Quelle relation entretient Ennahdha, aujourd’hui, avec M. Hamadi Jebali ? M. Hamadi Jebali est toujours le secrétaire général d’Ennahdha. Sa démission de ce poste n’a pas encore été acceptée. Mais sinon, il reste l’un des personnages clés de notre parti et du pays. Et il suscite l’admiration et le respect de tout le monde au sein du Mouvement.

«Il y a eu peut-être une certaine mollesse dans le traitement du terrorisme»

Quelle part de responsabilité tiennent Ennahdha et la Troïka dans la prolifération du terrorisme ? J’avoue qu’il y a eu peut-être une certaine mollesse dans le traitement de ce dossier épineux. On aurait, peut-être, dû se montrer plus ferme dans la lutte contre le terrorisme. D’ailleurs, cela je l’ai dit, dans une interview accordée au magazine «L’Express», bien avant l’accentuation de la violence et du terrorisme. Sinon, il faut noter, quand même, que la prestation sécuritaire est en train de s’améliorer progressivement. Ceci dit, permettez-moi de me demander aussi, dans ce même cadre, pourquoi on ne questionnerait pas le gouvernement qui nous a précédés sur sa part de responsabilité dans ce dossier ? On pourrait, d’ailleurs, se demander, dans ce cadre, sous quelle ère le premier congrès d’Ansar Chariaa, à La Soukra, a-t-il été organisé ? Sous quelle ère l’attaque de la salle Cinéma Afric’Art a-t-elle eu lieu ? Sous quelle ère les évènements de Rouhia ont-ils eu lieu ? Etait-ce sous l’ère de la Troïka ? Mais on ne se permettrait pas de le faire. En effet, tout le monde a été trahi par le discours pacifiste d’«Ansar Charia», alors que ce dernier était en train d’accumuler les armes pour préparer la phase actuelle. A noter que la plus grande quantité d’armes qui a infiltré le pays, selon les forces de l’ordre, a eu lieu en 2011 !

«La situation économique actuelle nécessite des solutions urgentes, osées et douloureuses»

Quelle est la position d’Ennahdha du retardement du Dialogue national économique ? Mieux vaut un retardement du Dialogue national qu’une annulation. Mais sinon, ce Dialogue national économique ne pourra être fructueux qu’à travers la séparation entre les affaires économiques et les idéologies politiques. Il faudra aussi être conscient que la situation économique et financière actuelle nécessite des solutions urgentes, osées et douloureuses. Est-ce que Ennahdha serait prête à gouverner avec Nidaa Tounes, si les deux partis terminent premiers, lors des prochaines élections ? En politique, il ne faut jamais dire «jamais». Mais, il y a une différence entre un choix autonome et un choix dicté par les circonstances…

Propos recueillis par Slim MESTIRI




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