Chawki Gaddès : «Les politiques sont réticents à instituer des contre-pouvoirs les contrôlant»

Chawki Gaddès : «Les politiques sont réticents à instituer des contre-pouvoirs les contrôlant»
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En cours d’examen cet après-midi par l’Assemblée nationale, le projet de loi relatif à l’Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des projets de loi suscite plusieurs interrogations, notamment quant à la possibilité de révocation de ses membres, ou ses prérogatives. Pour plus d’éclaircissements, nous avons contacté Chawki Gaddès, enseignant de droit public à la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis. Est-ce acceptable que les membres de l’Instance soient révocables ? Nous étions étonnés, au début, mais, ensuite, il s’est vérifié que ce sont les membres de l’Instance qui décident de la révocation, qu’importe la partie auteur de la demande de révocation. On peut estimer que la procédure prévue par l’article 13 du projet préserve la qualité première de cette instance, c’est-à-dire l’indépendance par rapport à l’autorité politique. A ce propos il faut savoir que seuls les membres de la Cour suprême américaine sont nommés à vie. Cependant, la révocation ne doit pas dépendre d’un pouvoir extérieur, mais bien des membres mêmes de l’Instance. S’il en est autrement, on ne peut plus parler d’indépendance. Mais du moment que la décision de révocation est décidée par quatre membres sur cinq, on peut dire qu’il existe une garantie d’indépendance de l’Instance.

«L’ANC appréhende mal le fait qu’une instance contrôle son activité législative»

Le problème est que le chef du Gouvernement domine l’Instance puisqu’il nomme quatre membres sur six. C’est, ainsi, lui qui nomme le président de la Cour de cassation (après un avis conforme de l’Instance provisoire de l’Ordre judiciaire), le premier président du Tribunal administratif, et le premier président de la Cour des comptes, ainsi qu’un quatrième membre juriste. Cet état de chose confirme la philosophie qui sous tend le régime actuellement en place et qui découle de l’organisation des pouvoirs publics où le chef du Gouvernement détient de grands pouvoirs entre ces mains. On n’a jamais voulu assimiler la philosophie qui est derrière la raison d’être de ces contrepouvoirs. La Constitution a mis en place cinq instances indépendantes, ainsi qu’une Cour constitutionnelle, qui forment un contrepouvoir indépendant par rapport au pouvoir politique. Car dès qu’il y a une majorité absolue au sein du parlement, il faut qu’il y ait un autre pouvoir qui limite les velléités hémogéniques du pouvoir politique. Ce sont ces instances qui concrétisent la démocratie.

«Il existe des limites aux politiques»

Le problème est que les politiques sont réticents à instituer des contrepouvoirs les contrôlant. Par exemple, on va bien instaurer une Instance provisoire du contrôle de la constitutionnalité des projets de loi, mais l’ANC appréhende mal le fait qu’une instance contrôle son activité législative. Les politiques recourent, ainsi, à quelques astuces pour que cette Instance soit sous leur pouvoir ou contrôle. Ainsi, on est dans une situation du contrôleur contrôlé ! Par ailleurs, le contrôle qu’avait effectué le Tribunal Administratif (TA) sur les activités de l’ANC ne leur a pas plu et c’est pour ça qu’ils ont licencié sa première présidente, Raoudha Mechichi. De plus, la présidence de l’Instance doit revenir au premier président du TA, qui gère la juridiction qui a le plus effectué ce travail de contrôle de constitutionnalité, mais ils ont décidé de l’attribuer au président de la Cour de cassation. Ils trouvent tous les subterfuges pour limiter le contrôle auquel ils doivent être soumis. Ils affirment, ainsi, que c’est le peuple qui les a élus, et que, de ce fait, ils ont carte blanche. Cela est faux, car il existe des limites aux politiques qu’ils ne peuvent dépasser. Ils ont tendance à oublier qu’ils ne sont pas titulaire de la souveraineté mais seulement mandatés par le peuple pour l’exercer et dans la limite de ce qu’il comprend à savoir rédiger une Constitution. Les prérogatives de cette Instance, telles que prévues par le projet de loi, sont-elles suffisantes ? En ce qui concerne l’action de l’Instance, il est à relever le possible blocage de la procédure prévue par l’article 25. Si l’Instance déclare un projet de loi inconstitutionnel, elle le renvoie au président de la République, qui le renvoie, à son tour, au Parlement. Cette procédure peut être illimitée ! Car une fois que l’ANC a repris le texte, le président de la République est tenu de le resoumettre à l’instance. Si celle-ci juge encore qu’il y a inconstitutionnalité, le projet est renvoyé à l’ANC et puis… jusqu’à quand ? Le texte ne spécifie pas combien de fois il peut y avoir de renvois. Normalement, l’Instance doit prendre, par elle-même, une décision, lors du deuxième ou troisième renvoi, ce que le texte ne prévoit que pour le cas où la disposition inconstitutionnelle peut être détachée du texte, alors le président de la République peut ratifier le texte en en ôtant cette disposition.

«Quand les députés acceptent de consulter des spécialistes, ils se dirigent vers des experts étrangers»

D’un autre côté la démocratie pour qu’elle soit irréversible, doit s’accompagner de ces instances indépendantes. L’ANC ne veut pas en entendre parler. Ainsi, on a institué une Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) chargée d’organiser les élections et qui doit de ce fait en fixer la date. Mais comme ils se déclarent souverains et dotés de tous les pouvoirs, les dispositions transitoires fixent la date à la fin de l’année 2014. Après, ça ne les concerne plus, le pouvoir législatif s’accommodera de la décision de l’ISIE ! Comment se fait-il, à votre avis, que les membres de la commission de la législation générale aient refusé de consulter des experts ? Ils ne veulent écouter que les experts de leurs choix. Ils ont, ainsi, élaboré le projet de loi électorale sans en référer à des experts en droit électoral, alors qu’il y a, à tous casser, cinq spécialistes tunisiens en droit électoral. Et quand ils acceptent de consulter des spécialistes, ils se dirigent vers des experts étrangers, de la Commission de Venise, ou du Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD), comme si ces gens-là étaient meilleurs que nous, ou qu’ils connaissent mieux que nous la réalité tunisienne. Pour conclure, les textes juridiques et surtout ceux prévoyant des procédures sont une spécialité qui ne peut être laissé à des apprentis légistes. C’est certainement une spécialité pointue et qui est différentes de celle qui est demandée à ceux qui planchent sur les statuts de société ou les cas de divorce. Cela l’ANC ne l’a pas compris depuis la rédaction de la Constitution, et qui chaque jour nous révèle des surprises que le juge constitutionnel aura des difficultés à trancher.

Propos recueillis par Khalil Abdelmoumen




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