TRIBUNE - Rached Ghannouchi, le leader suprême d’Ennahdha ne cesse, ces derniers temps, de manœuvrer, entre autres, par des déclarations conciliantes allant dans le sens d’une concorde nationale à laquelle une grande frange des Nahdhaouis n’est guère habituée.
Après l’historique prise de position, il y a près de deux ans, à propos du premier article de la Constitution - quand, contre toute attente de son parti, il a tranché avec fracas en faveur du renoncement à citer El chariaâ comme source de la législation -, le voici qui récidive.
Question de couper l’herbe sous les pieds des détracteurs d’Ennahdha faisant preuve d’un réalisme de bon aloi. C’est que notre cheikh a «terriblement» évolué, lui qui a débarqué de son exil londonien long d’une vingtaine d’années, le coupant de la réalité de son pays, pour changer de fond en comble la société tunisienne.
Face à la farouche résistance de la majorité des citoyens, si émancipés à troquer leur mode de vie imprégné d’ouverture d’esprit, de modernisme et de tolérance dans le comportement, il a dû faire volte-face de 360 degrés. Qu’on se rappelle la manifestation du demi-million de personnes le 6 août 2013 devant l’Assemblée constituante. Celle-ci a terrifié les leaders nahdhaouis dans leur ensemble, particulièrement le premier d’entre eux, Rached Ghannouchi.
D’où son consentement à rencontrer «clandestinement», à Paris, le leader de Nidaa Tounès, le grand politique, à savoir le patriarche Béji Caïd Essebsi. N’a-t-il pas convenu avec lui une entente «secrète» qui n’a pas tardé à se manifester, depuis, dans leur comportement mutuel individuel et les prises de position, loin de toute récrimination à telle enseigne qu’on parle d’une éventuelle participation commune dans un éventuel gouvernement post-élection législative.
Ce changement de fusil d’épaule de Ghannouchi vient d’être de nouveau renforcé par un étonnant réalisme à toute épreuve. En effet, à Sfax, lors d’une conférence de presse tenue le 30 mars dernier, il a clamé haut et fort «que la Ligue de l’Immunisation de la Révolution sera abandonnée au profit du jugement du peuple, elle sera de son ressort et à celui des urnes, lors des prochaines élections». Et d’ajouter «il n’y a pas de guerre entre nous et Nidaa Tounès. Et ce sont les résultats des législatives qui dicteront nos alliances futures».
Ainsi, voici donc, finalement, notre grand cheikh qui agit, à propos des grands dossiers épineux, à contre-courant de la majorité de son mouvement. Un caractère des grands hommes politiques quand ils voient les intérêts de leur formation en péril. Car le mouvement Ennahdha est, aujourd’hui, à la croisée du chemin : ou s’adapter au desiderata et au mode de vie du Tunisien ou être banalisé et mis sur la touche, lors du prochain scrutin.
Ceci me rappelle le comportement singulier de l’illustre Paul-Henri Spaak, ministre des A. E. belge, dans les années cinquante, qui répliquait quand on l’accusait de changer de politique comme de chemise «qu’il évoluait chaque jour».
Ghannouchi a changé de politique face à la réalité du terrain tunisien, devenu miné. Nous sommes bien loin de ses déclaration tendancieuses et à l’emporte-pièce débitées aux lendemains de son retour triomphal au bercail dont les fameux «les salafistes sont nos enfants» ou encore «ils me rappellent, par leur comportement, ma jeunesse».
Certes, on peut accuser le leader d’Ennahdha de chercher à sauver son mouvement. Ne tient-il pas un double langage selon les circonstances, voire de donner l’impression de «plier l’échine» pour rebondir mieux et gagner une bataille ? A ce propos, il ne diffère pas beaucoup du manœuvrier Béji Caïd Essebsi… Mais, qui d’entre eux deux a plus de chance de «dévorer» son vis-à-vis et grand concurrent ?
M'Hamed BEN YOUSSEF