Om Zied : «Le ministère de l'Intérieur est très dangereux… Il nécessite un ministre à la fois "Zoufri" et patriote, qui connaît tous les recoins»

Om Zied : «Le ministère de l'Intérieur est très dangereux… Il nécessite un ministre à la fois "Zoufri" et patriote, qui connaît tous les recoins»
Tunis-Hebdo
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Absente de la scène médiatique depuis quelques mois, la célèbre journaliste, opposante et militante des droits de l’Homme, Naziha Réjiba, alias «Om Zied», refait, enfin, surface et revient sur les raisons de son éclipse, son actualité associative, son évaluation de l’opposition et ses attentes à l’égard de M. Mehdi Jomâa.

«Nous, anciens du CPR, sommes souvent sollicités pour venir déballer le linge sale de Moncef Marzouki…»

Jusqu’à une période récente, vous avez fait le choix de boycotter les médias. Pourquoi avoir pris une telle décision ? Tout simplement, j’ai vu que les médias, après la Révolution et surtout après la bipolarisation entre Ennahdha et Nidaa Tounes, se sont mis au service des agendas politiques de ces deux partis. Je n’avais, donc, aucune place dans un tel paysage. D’un autre côté, j’ai remarqué aussi - et ceci ne me concerne pas particulièrement - que lorsqu’on invite les «anciens combattants», c’est généralement pour les inciter à dénigrer leurs camarades de combat. Par exemple, nous, les anciens du CPR, on est souvent sollicités pour venir déballer le linge sale de Moncef Marzouki. Idem pour les anciens du CNLT [NDLR: Conseil National pour la Liberté en Tunisie], par exemple, qui sont également invités aux plateaux pour médire de Sihem Ben Sedrine, etc. J’ai senti, donc, comme une tendance de la part des médias «mauves» de se venger des militants. J’ai préféré, alors, me retirer et ne pas jouer à ce jeu-là. Sinon, si je suis revenue, aujourd’hui, sur la scène médiatique, c’est principalement pour faire connaître la nouvelle initiative dans laquelle je me suis engagée, à savoir «la Coalition de la société civile pour la Tunisie».

«Beaucoup de personnalités, dont je ne citerai pas les noms, ont préféré ne pas s’embarquer dans l’aventure de la Coalition…»

En quoi consiste cette Coalition ? Tout d’abord, je tiens à préciser que l’idée de lancer cette Coalition n’est pas la mienne. C’est plutôt l’idée de plusieurs associations de diverses régions, notamment de Sidi Bouzid et de Gafsa -les régions de la Révolution-, qui, voyant le blocage dans lequel se trouvait le pays, se sont proposées comme force de proposition. Et donc, afin que leur voix soit entendue, elles se sont adressées à plusieurs personnalités jouissant d’un certain capital-confiance pour porter avec eux ce projet. Personnellement, j’ai senti que je n’avais pas le droit de refuser, bien que l’initiative ne soit pas encore bien claire. De ce fait, bien qu’on soit dans une phase de construction, nous avons tenu, le 18 décembre dernier, notre première conférence de presse afin de présenter «la Coalition de la société civile pour la Tunisie» et attirer, éventuellement, de nouveaux adhérents célèbres et crédibles. A noter que cette Coalition a été soutenue par le juge Ahmed Souab et l’ancien ministre des Finances, Houcine Dimassi. Malheureusement, beaucoup d’autres personnalités, dont je ne citerai pas les noms, ont préféré ne pas s’embarquer dans cette aventure, de peur de l’échec.

«Quand Ennahdha reçoit des centaines de milliards du Qatar, pour détruire la société tunisienne, personne ne dit rien…»

Qu’en est-il de l’association «Vigilance pour la Démocratie et l’Etat civil», que vous avez fondée en décembre 2012 ? L’association «Vigilance» (Yakadha), qui a été créée - entre autres - dans le but de diffuser la conscience politique, a fait, depuis sa création, plusieurs activités dans des régions différentes du pays. Et je peux vous affirmer que la foule qu’on a pu drainer, dans certains meetings, notamment à Sidi Bouzid, a largement dépassé celle de certains partis politiques. Ceci dit, nos activités ont été limitées, dernièrement, à cause de l’engagement professionnel de nos membres-fondateurs, qui ne peuvent pas, malheureusement, être disponibles tout le temps. Ceci sans parler, bien évidemment, du problème du financement qui nous fait souvent défaut. Certes, il y a des bailleurs de fonds qui veulent nous financer, mais nous préférons rester prudents. Car vous connaissez bien la rengaine du financement: dès qu’une association indépendante touche de l’argent, ça devient un scandale. Mais quand Ennahdha reçoit des centaines de milliards de Qatar, pour détruire la société tunisienne, personne ne dit rien. Sinon grosso modo, je trouve qu’on a fait du bon travail. L’association «Vigilance» a été, en effet, l’une des initiatrices de «la Coalition civile pour la défense de la liberté d’expression», une coalition qui a réalisé deux résultats importants, à savoir obliger les élus du CPR à retirer un projet de loi liberticide, et puis forcer les autorités à mettre en œuvre les deux décrets-lois 115 et 116.

«Nidaa Tounes est une reproduction du RCD»

Comment évaluez-vous, en tant qu’ancienne opposante de la dictature, le rendement de l’opposition actuelle ? Parmi tous les opposants qui se trouvent actuellement sur la scène politique, je trouve que les plus crédibles sont ceux qui ont milité durant l’ère Ben Ali, notamment ceux du Parti des travailleurs (de Hamma Hammami) et du Parti Républicain (ex-Parti démocrate progressiste, d’Ahmed Néjib Chebbi). D’ailleurs, j’aurais aimé que ces militants-là soient réunis - et cela reste toujours réalisable - dans un bloc commun, en compagnie de l’Alliance démocratique et des dissidents d’Ettakatol et du CPR, pour faire face à Ennahdha. C’est toujours mieux que de faire une coalition contre-nature avec Nidaa Tounes, qui est une reproduction du RCD.

«Si le peuple (ré)élit Ennahdha ou le RCD, je rendrais les armes»

En parlant du RCD, que représente pour vous le retour de partis «destouriens» à la scène politique ? Personnellement, j’aurais souhaité que les anciennes figures telles Hamed Karoui, Kamel Morjane, Mohamed Jegham et Béji Caïd Essebsi, etc., sauvegardent leur dignité et se retirent définitivement de la vie politique. Ces gens-là ne peuvent, en aucun cas, prétendre à la démocratie. Ils ont en privé le peuple tunisien. Ils ont soutenu celui qui en a privé le peuple tunisien. De plus, si la Tunisie a avancé durant l’ère Bourguiba et de Ben Ali, ce n’est pas grâce à eux ou à leur parti, comme ils le prétendent, mais c’est grâce aux efforts des Tunisiens et des Tunisiennes. Ceci dit, je tiens à préciser que je suis contre la loi d’immunisation de la Révolution. Cette loi aurait, probablement, dû être appliquée aux lendemains du 14 janvier, mais aujourd’hui elle n’a plus aucun sens. Elle est devenue un outil d’exclusion d’un adversaire politique. Si les destouriens veulent continuer à faire de la politique, qu’on les laisse se présenter aux élections et laisser le peuple dire son mot à leur sujet. Mais, en ce qui me concerne, si le peuple (re)élit le RCD, je m’exilerai chez moi. Idem s’il réélit Ennahdha ou encore une coalition destourienne-nahdhaouie. Dans ce cas-là, je rendrais les armes. Je n’aurai plus rien à faire.

«J'ai l'impression qu'on nous a lâché le nom de Mehdi Jomâa juste pour qu'il soit mâché, comme un chewing-gum, par les médias»

Qu’attendez-vous, aujourd’hui, du nouveau Chef de gouvernement, M. Mehdi Jomâa ? Je vais peut-être vous surprendre en disant que j’attends déjà qu’il soit désigné officiellement. En effet, j’ai l’impression qu’on nous a lancé ce nom juste pour qu’il soit mâché, comme un chewing-gum, par les médias. En parallèle, on n’a vu aucun signe de départ de la Troïka. D’ailleurs, cette dernière nous donne l’impression qu’elle est en train de gagner du temps, afin peut-être de parachever sa mainmise sur le pays ou effacer les traces de ses «bêtises». Ceci dit, si tout va bien, et que M. Jomâa s’installe à la Kasbah, je lui demanderais de bien gérer cette énième période transitoire en lançant, tout d’abord, une «opération secours» pour les classes défavorisées et les secteurs économiques en détresse. Sur le plan sécuritaire, j’espère qu’il nommera un nouveau ministre de l’Intérieur, car M. Ben Jeddou, aussi gentil qu’il puisse paraître, a démontré un manque de rigueur et de transparence face aux assassinats politiques. De plus, M. Ben Jeddou me paraît une personne calme et pacifique, pas vraiment compatible avec ce ministère très dangereux, qui nécessite plutôt un ministre à la fois «Zoufri» et patriote, qui connait tous ses recoins. Sur un autre plan, le nouveau chef de gouvernement doit absolument dissoudre les ligues de protection de la Révolution et toutes les autres milices, neutraliser les mosquées et revoir les nominations nahdhaouies dans l’Administration, afin que les prochaines élections soient vraiment crédibles. En parlant de prochaines élections, qui à votre avis, serait susceptible de les remporter ? Avec l’hémorragie que vit actuellement Nidaa Tounes, et Ennahdha qui n’est pas saine non plus, peut-être qu’une nouvelle force politique, opposée à ces deux pôles, émergera pour sauver la Révolution et commencer à réaliser ses objectifs.

Propos recueillis par Slim MESTIRI




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