«Défonce» de la légitimité ?

«Défonce» de la légitimité ?
Tunis-Hebdo
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Pour Ennahdha, comme pour ses alliés, l’initiative du chef du gouvernement, Hamadi Jebali, marque un coup contre la légitimité. Est-ce vraiment le cas ? Accueillie comme un sursaut salvateur par la moitié de la classe politique, l’initiative de Hamadi Jebali de former un gouvernement exclusivement composé de technocrates a été mal encaissée par les partis Ennahdha et le Congrès pour la République. Un «renversement» qui, selon eux, s’oppose aux résultats des élections du 23 octobre 2011 et qui favorise ainsi l’opposition «perdante». Mais ce discours, tout aussi laborieux qu’il soit, a été, en quelque sorte, renforcé par une énième sortie médiatique hasardeuse de Béji Caïd Essebsi, lequel, dans une déclaration à chaud, quelque temps après le meurtre de feu Chokri Belaïd, a appelé, tant à la dissolution du gouvernement qu’à la dissolution de l’Assemblée nationale constituante (ANC). Une prise de position irresponsable et qui dénote le mépris qu’affiche le leader de Nidaa Tounes vis-à-vis d’un processus de transition erratique. Et même si Nidaa Tounes a, par la suite, affirmé son attachement à l’ANC, les propos de Caïd Essebsi continuent de retentir parmi les leaders d’Ennahdha, du CPR et de Wafa, et donnent un motif valable pour une démonstration de force en réaction aux manifestations populaires spontanées suite à l’assassinat de Chokri Belaïd. Bisser la défense Dans une situation de faiblesse après ces manifestations, Ennahdha se devait de réagir par une démonstration de force qui justifierait le soutien populaire dont elle jouit. Aussi, le 10 février était organisée une première manifestation pour la défense de la légitimité, et accessoirement pour un gouvernement d’union nationale. Une manifestation ratée, malgré tous les déploiements et les efforts de mobilisation. Et pour ne pas rester sur un échec, une autre manifestation de soutien à la légitimité a été tenue samedi dernier. Une démonstration de force plus réussie, mais qui, entre les chiffres avancés par les observateurs et les différents journalistes sur place (entre 15.000 et 20.000) et ceux du porte-parole du ministère de l’Intérieur, Khaled Tarrouche, avançant le chiffre de 60.000 manifestants, pose, immanquablement, la nécessité de la «neutralité» de ce ministère. L’obligation mathématique du compromis Excepté les déclarations de Béji Caïd Essebsi - qui a rapidement fait d’atténuer la teneur de ses propos, expliquant qu’ils ont été «mal interprétés» -, aucun autre leader, ou parti de l’opposition, n’a tenu de discours comparables. Au contraire, que ce soit le Parti Républicain, Nidaa Tounes, Al Massar ou le Front Populaire, tous affirment le rôle primordial de l’ANC dans le processus de transition démocratique. Et c’est l’ANC seule qui détient la légitimité, aucunement le gouvernement qui en découle. Et par le jeu des alliances au sein de l’hémicycle, la majorité actuelle peut rapidement se réduire comme une peau de chagrin au profit de l’opposition. En effet, même si, grâce à la loyauté du CPR et de Wafa, Ennahdha peut se targuer d’une majorité de 114 élus (sur un total de 217), il n’est pas sûr que la donne restera la même, surtout que le paysage politique actuel est instable. Par ailleurs, cette majorité actuelle permettra certes de gouverner (et de faire tomber tout prochain gouvernement), mais ne peut servir dans la rédaction de la Constitution qui nécessite, quant à elle, une majorité qualifiée des 2/3. L’adoption du texte constitutionnel passera donc obligatoirement par un compromis. Les effets d’un mandat indéterminé Le débat sur la légitimité n’est aucunement inédit, et s’est déjà posé avec acuité avant le 23 octobre 2012. Le problème est né des termes même du décret de convocation des électeurs pour les élections de la Constituante, qui donne à l’Assemblée élue un délai maximum d’un an pour l’élaboration de la Constitution. De plus, le 15 septembre 2011, onze partis, dont Ennahdha, Ettakatol et le PDP, ont signé une feuille de route par laquelle ils s’engagent à ce que le mandat de l’Assemblée constituante ne dépassera pas un an. Alors que l’opposition a profité de ces deux données pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il daigne faire des concessions, et en appelant au renforcement de la légitimité électorale par une légitimité consensuelle, la Troïka, quant à elle, s’est mise à dénoncer ces «menaces» sur la légitimité et des tentatives de créer le chaos et le vide institutionnel à travers ce qu’elle voit comme des appels à la dissolution de l’ANC. Aujourd’hui, près de quatre mois sont passés, et on n’en entrevoit aucunement le bout du tunnel. Et une seule question se pose : la légitimité d’une ANC sans mandat déterminé est-elle infinie ?

Khalil Abdelmoumen




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