Révocation de 81 magistrats : Décision acceptable sur le fond et critiquable sur la forme

Révocation de 81 magistrats : Décision acceptable sur le fond et critiquable sur la forme
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Bien que justifiée, dans le cadre de l’assainissement de la Justice, conformément à une demande pressante de la société civile et de plusieurs citoyens, la décision de révoquer 81 magistrats, annoncée hier par communiqué laconique du ministère de la Justice a donné lieu à différentes interprétations et différents commentaires qui ne sont pas tous favorables à cette décision. Dans ce communiqué, le ministère n’a pas fourni des détails sur l’identité des magistrats révoqués ni les faits qui leur sont reprochés et s’est contenté de préciser que cette décision puise son fondement dans l’impératif d’assainissement de la Justice et qu’il se réserve le droit de saisir le Parquet à propos des affaires relevées par une enquête approfondie du ministère. Les 81 magistrats révoqués ne sont qu’une première liste, indique le communiqué, ce qui laisse supposer que dans les prochains jours et mois, d’autres magistrats connaîtront le même sort. Selon l’information publiée dans les médias électroniques, la décision du ministère vise à mettre un terme à une situation marginale où des magistrats continuent à s’impliquer dans des affaires de corruption après la révolution du 14 janvier. Il s’agit donc de magistrats qui ont des antécédents en matière de corruption et qui persistent dans ce domaine en dépit des menaces de poursuites qui peuvent les atteindre dans le sillage de la justice transitionnelle. Mais le communiqué ne précise pas exactement si sa décision se base sur la persévérance dans l’erreur ou si elle fait partie des mesures d’assainissement du secteur. Dans la première hypothèse, on peut admettre que les magistrats visés aient été démis parce qu’ils n’ avaient pas renoncé à leurs pratiques répréhensibles et que l’assainissement ne concerne que les non- repentis. L’autre information palpable au sujet de cette décision fait état d’un patrimoine injustifié au nom des magistrats révoqués ayant donné lieu à une suspicion qui aurait été derrière la décision de leur révocation. D’après cette information, l’origine du limogeage ne réside pas dans des faits avérés, mais s’appuie sur des soupçons. En raison de l’opacité de l’information qui s’est limitée dans sa substance à l’annonce de la décision de révocation à l’égard de « magistrats qui n’ont pas mis fin à leurs dépassements et poursuivent leurs pratiques d’avant la révolution », les observateurs ont essayé de tirer des conclusions à partir du contexte politique actuel. Certains d’entre eux estiment que le gouvernement voudrait démontrer à travers cette décision spectaculaire qu’il est déterminé à aller jusqu’au bout dans la mise en œuvre de la justice transitionnelle. D’ailleurs, il y a deux jours, les parts de Marouène Mabrouk dans « orange » ont été mises sous séquestre et dans les jours à venir, des décisions tout aussi spectaculaires sont pressenties pour calmer l’opinion publique, qui est révoltée contre le laxisme des autorités face au dossier de la corruption. Mais ce dossier n’est pas le seul à préoccuper les Tunisiens. À côté des blessés de la révolution, de la cherté de la vie, et du chômage, les citoyens sont outrés par la montée du salafisme qui représente un véritable danger pour leur liberté, leur avenir et leur sécurité. La lutte contre ce danger revêt le même degré d’importance que la lutte contre la corruption et l’assainissement de la justice. Pour revenir à la décision du ministère de la Justice, cette dernière risque de ne pas plaire au syndicat et à l’association des magistrats, qui depuis la révolution du 14 janvier n’ont cessé de réclamer une autonomie totale vis-à-vis de l’Exécutif. Cette autonomie devait se traduire par la prise en charge par les structures qui représentent les magistrats de tout ce qui a trait à leur carrière et à leur situation professionnelle. De ce fait, l’intervention du ministère pour démettre un nombre aussi impressionnant de magistrats pourrait susciter des remous dans la profession et conduire à des tensions entre les deux parties, à un moment où le syndicat des magistrats rejette en bloc un projet présenté par le CPR sur la réforme du secteur de la magistrature. D’après le ministère, son intervention repose sur l’article 44 de la loi du 14 juillet 1967 sur l’organisation judiciaire et le conseil supérieur de la magistrature qui est d’ailleurs remise en cause par les magistrats depuis la suspension de la constitution. Rien que sur cette base , les magistrats et leurs représentants peuvent s’opposer à la décision du ministère. Nonobstant l’inapplicabilité de la loi du 14 juillet 1967, l’article 44 de cette loi prévoit tout simplement que les fonctions des magistrats prennent fin, entre autres, par la révocation, mais n’explique pas dans quels cas il y a révocation et qui est habilité à prendre la décision. La réponse à ces deux questions est plutôt donnée dans les articles 52 et 55 de la loi. Dans l’article 52, la révocation est une sanction disciplinaire applicable par le conseil et dans l’article 55, il est prévu que le conseil de discipline est seul compétent pour prendre connaissance de la discipline des magistrats. Le ministère n’est donc pas l’autorité habilitée à se prononcer sur les cas disciplinaires.



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