Le billet de Hatem Bourial - À coups de barre de fer

Le billet de Hatem Bourial - À coups de barre de fer
Chroniques
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Les récents événements à l’université remuent en moi le souvenir douloureux d’une agression que j’ai subie, il y a plus de trente ans, à la Faculté de droit de Tunis. Mes agresseurs courent toujours. Mieux, j’ai cru reconnaître l’un d’eux, le 14 janvier 2012, paradant sur l’avenue Bourguiba en tête d’un cortège salafiste. Peut-être était-ce son fils ? En tout cas, la barbe, le regard incandescent, la violence auréolant le visage étaient les mêmes. C’était un jour d’avril 1980. À l’époque, le quartier d’El Manar n’existait pas et le campus universitaire était alors aux marges de la ville. Ce jour-là, une expédition punitive a été programmée par les intégristes pour casser les gauchistes de la Fac de droit. Gauchiste, je ne l’étais pas même si j’avais des sympathies plutôt à gauche. La violence, je n’y croyais pas, fût-elle révolutionnaire. J’étais, en ce temps, un peu hippie sur les bords, branché sur le monde et amoureux fou de culture française et américaine. Pour tout vous dire, mes camarades me qualifiaient de "déraciné", comme si je venais d’une autre planète purgée de toute forme de stalinisme, maoïsme ou panarabisme. Ce jour-là, le hasard m’a mis sur le chemin d’un illuminé, fou de Dieu et, probablement, émule d’un Khomeyni triomphant. Ce jour-là, une pluie de coups de matraque et de barres de fer s’est abattue sur moi. Parce que je me trouvais au mauvais endroit, au mauvais moment. Complètement traumatisé, je me suis réfugié chez des amis pour panser mes blessures, tout en sachant que celles à l’âme ne guériraient jamais. Durant une quinzaine, je me suis soustrait du monde, me demandant ce qui m’arrivait, doutant de mon pays, de mon identité, de mes choix. Depuis ce jour maudit, je n’ai plus jamais remis les pieds à la faculté. Même, emprunter la route X me ramène à cette terrible bastonnade qui, au fond, a décidé de ma vie. Aujourd’hui, deux régimes policiers et une révolution plus tard, je vois mon pays s’enfoncer peu à peu dans la terreur salafiste. Et mon être profond me dit que ce n’est que le début. Aujourd’hui, je vois mes agresseurs d’hier partout. Ils occupent désormais le haut du pavé et ont poussé l’exaltation jusqu’à l’humiliation du drapeau national. Aujourd’hui, la rue est à eux et, lorsque leurs intérêts seront en jeu, ils n’hésiteront pas à répandre la terre brûlée. Aujourd’hui, ils font mine de prier sur les places publiques, les plages et les trottoirs à l’ombre de leur bannière noire. Aujourd’hui, je vois l’air se raréfier et je ressens encore la douleur de mes blessures d’hier. Je crois que ces blessures ne se sont jamais refermées et qu’elles saignent encore, alors que je redoute ce qui nous attend. Même s’ils relèvent de l’intime, les faits que je viens de relater ont clairement décidé d’une vie. Avant cette agression dont je fus victime, j’étais sur un chemin. Je me suis ensuite retrouvé sur une autre voie. Un destin n’est pas grand-chose au fond… Pourtant, c’est l’avenir d’un pays, son existence même, que ces illuminés par l’obscur menacent. Ce sont nos enfants, notre Tunisie qui sont en danger. Et malgré, mes cheveux gris aujourd’hui, je rêve, je lutte et je m’engage pour qu’ait lieu le sursaut qui nous sortira indemne de cette terrible ornière et nous éloignera de ce gouffre béant qui nous aspire…



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