Grogne, inquiétude et guerre des mots

Grogne, inquiétude et guerre des mots
National
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Les élections du 23 octobre de l’Assemblée Constituante tant attendues ont eu lieu avec le succès que l’on sait. Le triumvirat constitué des trois partis vainqueurs du scrutin (Ennahdha, le CPR et Ettakatol) s’est réparti les fonctions de la Présidence de la République, du Chef du Gouvernement et de la Présidence de l’Assemblée. Et l’on attend toujours la formation du gouvernement alors que le pays semble en proie à une grogne et une instabilité de plus en plus grandes. On ne compte plus les sit-ins dans les quatre coins du pays, qui pour être légitimes, n’en sont pas moins les bienvenus. Tous les spécialistes s’accordent à dire que les clignotants économiques sont en train de virer au rouge. Et à ce rythme-là, le taux de croissance sera négatif sur fond d’augmentation des demandeurs d’emploi. La nature a horreur du vide, et le vide politique qui ne fait que trop durer est meublé par des groupes qui érigent la contestation en règle. Durant toute la semaine dernière, la faculté des Lettres de la Manouba a été mise à l’épreuve d’un groupe de salafistes porteurs de revendications d’un autre âge. Il ne fait aucun doute que cette mobilisation réponde à une stratégie d’une nébuleuse aspirant à l’instauration d’un nouveau modèle sociétal rétrograde. La timidité de la classe politique face à cette menace qui pèse sur l’université et surtout le flou artistique entretenu par le mouvement Ennahdha sur cette question sensible de l’extrémisme religieux n’étaient pas de nature à rasséréner une opinion qui oscille entre peur et inquiétude. Quant au rassemblement devant l’Assemblée nationale du Bardo, depuis le début de la semaine dernière, il incline à penser qu’une culture du sit-in est en passe de s’imposer comme élément du paysage politique post révolutionnaire. Il va sans dire que les libertés doivent être garanties, mais pas au risque d’exposer le pays à la discorde et à la division. Le spectacle auquel on a eu droit samedi entre partisans d’Ennahdha et gauchistes progressistes prêts à en découdre n’incite pas à l’optimisme et augure, si rien n’est fait, de lendemains qui déchantent. Les stades de football, théâtre d’une surprenante violence, achèvent de saper le moral en berne. Cette bipolarité, en tout cas, n’est pas viable, ni souhaitable en ce qu’elle donne à voir une photographie erronée du pays. Beaucoup de questions se posent : qui est derrière les sit-in du Bardo ? Ces rassemblements sont-ils légitimes, et qu’est-ce qui les motive ? Un élément de réponse se trouve dans le communiqué publié par le « Comité du sit-in du Bardo » qui appelle à un rassemblement le mardi 6 décembre devant l'Assemblée. Nombreuses sont les revendications. Exemples : "retrait du projet d’organisation des pouvoirs publics qui laisse croire à un fondement d’une nouvelle dictature, transmission en direct des délibérations et des commissions de l’ANC, le jugement des assassins des martyrs devant une cour juste, réhabilitation morale et matérielle des blessés de la Révolution…". Toutes légitimes qu’elles puissent être, ces revendications peuvent bien prendre une forme que celle des sit-in à la connotation négative. Oui à la pression, non à la chienlit. La classe politique est finalement sortie de sa réserve. C’est à peine s’il ne s’agit pas de guerre des mots. Hamadi jebali, secrétaire général d’Ennahdha, pressenti pour le poste de premier ministre, accuse certains partis de pratiquer « la politique de la terre brûlée », dans l’entretien qu’il a accordé aujourd’hui à Mosaïque FM. Il considère les contestations devant l’Assemblée déplacées dès lors que le gouvernement n’est pas encore constitué. Certains partis « veulent contourner la légitimité d’un gouvernement qui n’a pas encore vu le jour » ajoute-t-il, avant de rejeter en bloc l’accusation de vouloir nommer son cousin à la tête de la Banque centrale. Hamma Hammami, pour sa part, qualifie, dans une vidéo de "Tunisia Talks", ceux qui au nom de la religion veulent imposer leur loi, de « fascistes ». Ces pseudos religieux ne font, par leur agissement, que « menacer la Révolution ». Il reproche au parti d’Ennahdha sa passivité et son manque de clarté devant la montée du salafisme qui constitue une menace pour les libertés académiques. Le salafisme dont « Ennhdha tire profit », déclare le secrétaire général du POCT. Animé d’une vive volonté d’apaiser les esprits, Noureddine Bhiri, autre figure marquante d’Ennahdha a tenu aujourd’hui sur les ondes de Shems FM un discours qui vise à rassurer, mettant l’accent sur l’auguste sentiment d’union qui doit prévaloir en ces temps délicats et sensibles. Mais les mots ne prennent la plénitude de leur sens que lorsqu’ils sont confirmés et illustrés par les actes. Force est de constater, nonobstant, le décalage entre le dire et le faire. Le pays ne saurait supporter encore longtemps ce gouffre, propice aux fantasmes les plus invraisemblables, mais aussi aux peurs les plus compréhensibles. Celles de la majorité silencieuse.



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