Le billet de Hatem Bourial - Nouveaux monstres et vieux démons

Le billet de Hatem Bourial - Nouveaux monstres et vieux démons
Chroniques
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Cela faisait longtemps que ne n’avais plus vu cette joie malsaine, cette liesse outrancière des victimes consentantes de la dialectique du pain et des jeux de cirque. La joie sur commande, nous connaissons bien. La dernière manifestation de ce genre a eu lieu le 13 janvier au soir lorsque celui qui allait le lendemain devenir le fuyard de Carthage était venu lire au peuple tunisien les inepties de Hakim El Karoui, ce faussaire d’élite. Des foules de béni oui oui étaient alors sorties, bravant le couvre-feu, pour exprimer leur amour au Clairvoyant suprême. Avec les encouragements et la complicité de leurs marionnettistes de l’ombre. Lorsque je repense à ce 13 janvier, une autre image s’impose à moi. Celle, plus ancienne, de deux dictateurs se concertant pour pardonner à des supporters égarés. Souvenez-vous Ben Ali avait alors obtenu de Moubarak qu’il libère des supporters tunisiens coupables de casse en Egypte. On était allé jusqu’à leur affréter un avion spécial pour un retour triomphal qui a sali les unes de tous nos journaux. La dictature n’avait jamais été aussi loin dans la manipulation du foot politisé, de la petite délinquance récompensée et de l’intoxication par le ballon. Et voilà que ça recommence ! Un match de foot et les mêmes chiens de Pavlov envahissent les rues, manifestent leur maladie, répandent les mêmes slogans imbéciles. Quand je pense que l’on vendait cette pornographie comme un rempart contre l’islamisme ! Honte à nous : la révolution n’a rien changé à ce terrible état d’esprit qui anime nos supporters. On leur a mis ça dans le biberon. On leur a fait comprendre que le foot c’est mieux que l’école. On leur a volé une dignité que la révolution leur a rendue mais ils préfèrent se vautrer dans la fange d’un sport qui leur vole leurs vies au profit de joueurs milliardaires sans envergure. Et ces milliards-là, personne n’a dénoncé leur provenance. On ne joue pas avec l’opium du peuple et l’ombre de Slim Chiboub… Qui fera quelque chose pour sortir de ce « bad trip » cette jeunesse sans autre horizon que le stade, cette jeunesse shootée au foot qui ne reconnait pas encore le sens de l’histoire ? Qui enclenchera un nouveau cercle vertueux pour nous sortir de cette dictature qui ne dit pas son nom ? J’écris ce billet alors que se confondent dans le tumulte environnant bruits de klaxons « joyeux », vociférations de bonheur et versets psalmodiés du haut d’un lointain minaret. Comme si rien n’avait changé. Comme si on allait continuer à regarder le foot avec les réflexes d’avant. Comme si de vieux démons s’étaient emparés de nouveaux monstres…



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