Chronique de Moncef Charfeddine | Ahmed Zarrouk, un général sanguinaire (II)

Chronique de Moncef Charfeddine | Ahmed Zarrouk, un général sanguinaire (II)
Tunis-Hebdo
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A la suite de l’insurrection de Ben Ghdhahem, la pacification définitive de la Régence dura tout l’automne et une partie de l’hiver 1864-1865. Nous avons vu que le général Ahmed Zarrouk, cet esclave affranchi du Ministre Mohamed El Arbi Zarrouk, sema impitoyablement la terreur au Sahel pour punir les Sahéliens qui avaient pris part à la Révolte. Les Sahéliens prendront, quelques années après, leur revanche. En effet, lorsque Khéreddine Pacha sera nommé à la tête de la Commission Financière, en 1869, il fut chargé de réviser les comptes des caïds et des percepteurs d’impôts. Il proposa, alors, au Bey de créer une commission d’enquête chargée d’examiner les exactions fiscales commises depuis 1864. Essadok Bey accepta cette proposition et forma cette commission dès le 22 novembre 1869. Entre-temps, Zarrouk avait été nommé caïd de Sousse et de Monastir. Dès le 7 décembre 1869, Zarrouk est démis d’autorité de ce caïdat. Le Bey le confia de nouveau à Mohamed Khaznadar qui écouta les doléances des Sahéliens et s’efforça de panser leurs plaies. L’on découvrit que les dettes contractées par les habitants du Sahel étaient hors de proportion avec les recettes parvenues à Tunis. La Commission financière révisa alors les comptes de Zarrouk. Elle découvrit, entre autres anomalies, que le livre de compte de ce dernier avait été fabriqué après coup pour couvrir ses malversations. Zarrouk fut convaincu de mauvaise gestion et de détournement de fonds. Mais Mustapha Khaznadar fera tout pour que Zarrouk ne fût pas condamné. Parmi ses dépenses, l’on découvrit l’achat d’un palais à Carthage grâce aux recettes de sa gestion financière au Sahel (Fortement endettés, les héritiers de Zarrouk vendront, par la suite, ce palais au bey…Ce fut l’origine du palais beylical de Carthage, résidence d’été des souverains husseïnites). Zarrouk dut abandonner le ministère de la guerre, fonction qu’il assumait depuis septembre 1865. Il sera, néanmoins, nommé caïd de l’Aradh. Après la démission de Khéreddine de ses fonctions de premier ministre, Zarrouk reviendra au gouvernement comme ministre de la Marine, d’août 1877 à mai 1881. Il mourut peu après, dans la misère – à ce que l’on raconte. Citons Khelifa Chater pour terminer : « Il n’est certes pas aisé de tracer un portrait de Zarrouk alors qu’il est devenu un personnage de légende, une incarnation du mal ou à peu près, depuis ses tristes exploits. Comment le ramener à ses justes proportions, comment connaître les opinions d’un homme d’action, peu porté vers la réflexion politique ? Il reste à reconstituer son portrait d’après les témoignages des contemporains. Pour Ben Dhiaf, il était efficace, autoritaire et énergique. Jugeant ses premières expéditions à la tête de la mehalla du sud, l’auteur rapporte que « Zarrouk a assuré la sécurité des routes et a pacifié les Hammama ; il put même gagner la sympathie de certains de leurs notables et chefs de marabouts qui l’aidèrent à imposer son autorité aux sujets peu dociles. Il pratiqua la politique de la carotte et du bâton et se montra dur tel que l’exige son commandement. D’autre part, en citant les soixante membres du Grand Conseil prévu par la Constitution de 1861, Ben Dhiaf qui s’ingéniait à relever le trait saillant de leur caractère se contenta de qualifier Ahmed Zarrouk de « très énergique ». Le titre n’est certes pas flatteur à côté de « l’intègre et très intelligent » Khéreddine, de Mohammed Khaznadar « le parfait », de Mustapha Agha, « l’intègre et l’homme du bien » de Hassan el-Magroun, « le noble ». Mustapha Khaznadar quant à lui, était habilement qualifié de fin politicien. Nous voyons donc que « l’énergie et le dynamisme » d’Ahmed Zarrouk, pas plus que l’ « habileté politique » de Mustapha Khaznadar, ne semblaient pouvoir s’accorder, aux yeux de Ben Dhiaf, avec les qualités d’intégrité morale, de sagesse politique ou de noblesse de caractère. On se rend compte ainsi, que dans ce classement, Ahmed Zarrouk ne figurait pas parmi les mamelouks vertueux. En d’autres termes, cela voulait dire, selon les normes de Ben Dhiaf, qu’il n’appartenait pas au groupe des réformateurs, qu’il restait attaché aux privilèges de sa caste et qu’il s’accommodait fort bien des mœurs politiques du pays que l’auteur de l’ithaf n’a cessé de dénoncer. Ben Dhiaf ajoutera, par ailleurs, que Zarrouk était un officier courageux. Le chroniqueur jugeait pourtant avec un grand souci d’objectivité ce puissant dignitaire du palais : il reconnaissait son courage, son habilité et son dynamisme mais évoquait, avec sa prudence coutumière, le revers de la médaille.. … Ahmed Zarrouk était donc un fonctionnaire dynamique servant avec zèle son bey et son Premier ministre, un chef de mehalla énergique, autoritaire et efficace : il était donc un excellent « commis de l’Etat » selon les normes du régime. Partisan de la manière forte, il ne pouvait qu’être l’adversaire des réformateurs ; il restait étranger à leurs préoccupations libérales et humanitaires. Ses penchants allaient plutôt vers le clan de Khaznadar. Par intérêt, il défendra la cause du Premier ministre pour sauvegarder ses privilèges de caste et les pouvoirs étendus que lui conférait la mehalla. En cela d’ailleurs, il ne différait guère des autres hauts fonctionnaires qui bénéficiaient de la confiance et de l’estime de Mustapha Khaznadar. Ahmed Zarrouk n’était certes pas un fonctionnaire populaire. Il figura même sur la liste des mamelouks à abattre par les insurgés. Il suscita la haine des sujets du bey, car il s’était toujours montré solidaire de Khaznadar et ainsi « avait partout représenté un gouvernement honni par le peuple ».

Moncef CHARFEDDINE Tunis-Hebdo du 13/05/2019

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