Chronique de Hatem Bourial | De mémoire maltaise

Chronique de Hatem Bourial | De mémoire maltaise
Tunis-Hebdo
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Lorsqu’on se promène dans la ville de Tunis, la présence maltaise est partout. Diffuse, fragmentée, estompée, cette présence reste remarquable y compris dans la toponymie urbaine. Tout le monde se souvient de la Rue des Maltais. Reliant Bab Bhar à Bab Souika, cette rue porte de nos jours le nom de Mongi Slim. Elle débouche sur une rue plus petite qui porte le nom très évocateur de Malta Srira. Cette appellation qui signifie Petite Malte renvoie à la mémoire maltaise et aux nombreux habitants et commerçants de ce quartier. Dans la ville de Tunis, les Maltais étaient présents un peu partout. Ainsi, ils étaient fortement concentrés à Bab El Khadhra mais aussi du côté de Ras Edderb. On les trouvait également dans les environs du Marché central ou encore à Bab El Jazira. De rares familles maltaises d’origine vivent encore dans ces parages. L’habitat des Maltais était fortement conditionné par les métiers qu’ils ont exercés. Beaucoup parmi eux avaient des origines paysannes et ont continué à élever des chèvres dont ils vendaient le lait. Ces chevriers maltais étaient des personnages pittoresques du Tunis des débuts du vingtième siècle. De même, beaucoup de Maltais exerçaient le métier de cocher. Ils conduisaient dans les rues de la ville les fameuses « carroussas » d’antan. Ces véhicules portaient les noms évocateurs de « araba » et les Maltais de Tunis tenaient ce commerce de main de maître. Ces fiacres de la belle époque étaient de différentes catégories avec les « milorda » et les « victoria » qui étaient les plus prisées du public. Pour l’anecdote, lorsqu’il a été question de créer à Tunis un service de taxis, les fiacres ont peu à peu été délaissés. C’est pour cette raison que beaucoup de cochers maltais ont obtenu des permis de place, troquant leur « carroussa » contre un taxi bébé. Ces taximen maltais ont été relativement nombreux jusqu’au début des années soixante-dix. En outre, tous les métiers relatifs aux fiacres et aux chevaux étaient l’apanage de Maltais qui travaillaient comme charron, maréchal-ferrant ou palefrenier. Plusieurs fondouks situés en ville accueillaient ces professionnels. Beaucoup de Maltais vivaient d’ailleurs dans ces fondouks et aussi dans de vastes oukalas de la médina de Tunis. En évoquant ces aspects de la mémoire maltaise, un lieu incontournable se doit d’être mentionné : la fameuse Salle maltaise. Cet espace culturel et social se trouvait à la rue de Grèce et accueillait les travailleurs maltais. Dans les dernières années, ce local a été mis à la disposition de la Troupe de la Ville de Tunis qui y mène ses cycles de répétitions théâtrales. Auparavant, il a servi à des associations et aussi des privés qui louaient cette salle pour y organiser des événements qui allaient du gala de bienfaisance à la surprise-party. De nos jours, seule une plaque sur le fronton indique l’identité maltaise de ce lieu. Toutefois, les traces maltaises restent vives et diffuses pour qui sait les débusquer dans une ville en perpétuel mouvement… Plusieurs Maltais illustres ont laissé leur trace dans notre petite histoire. Comment ne pas penser aux Saliba qui ont longtemps été les libraires et éditeurs de référence. Se trouvant sur l’avenue de France, non loin de Bab Bhar, la Librairie Saliba était le repère de tous les lecteurs. Il existait de plus une deuxième librairie Saliba, plus petite, qui se trouvait à la rue Charles de Gaulle et brassait elle aussi de nombreux lecteurs. Le Maltais le plus célèbre de Tunis était sans doute Henri Bondin, fondateur des cafés qui portent son nom. Installé à la rue d’Espagne, Bondin est allé à la conquête des amateurs de moka et a fort bien réussi dans son entreprise. Dans les années soixante, il cédera sa marque aux Ben Yedder.Cinquante ans après, personne n’a oublié Bondin et cette marque reste toujours très présente dans le monde du café. Connaissez-vous René Cauchi ? C’est un célèbre tailleur tunisois qui n’a pris sa retraite que depuis quelques années. De sa boutique à la rue Saint-Jean, Cauchi rayonnait sur la mode à Tunis. Il habillait Bourguiba et les notables s’empressaient autour de lui pour bénéficier de sa touche limpide et des tissus qu’il importait spécialement. Avec ses textiles Dormeuil, Tergal et Old England, René Cauchi a compté parmi les adresses incontournables et laissé un sillage d’élégance. Puisque nous parlons élégance, évoquons aussi les bijoux ! Qui à Tunis ne connaît pas le fameux André Cordina ? Ce bijoutier des plus réputés est, lui aussi, issu de la communauté maltaise. Sa boutique au Colisée était connue de tous et constituait un repère inébranlable pour les jeunes mariés. Elle porte aujourd’hui le nom de la famille Adario qui a repris l’affaire il y a quelques années. Il n’en reste pas moins que le nom Cordina rime toujours avec bijouterie et que son évocation fait renaître bien des souvenirs. Ange Xuereb est lui aussi de ces Maltais inoubliables qui ont écrit de belles pages de l’histoire de Tunis. Son restaurant a pour nom « Tantonville » et se trouve à proximité du cinéma Rio. Cette brasserie a compté parmi les lieux les plus populaires et l’ami Ange avait toujours un mot pour chacun. Supporteur du Stade Tunisien, amateur de bonne chère, Ange Xuereb laisse le meilleur souvenir. Comme lui, la famille Diacono avait un penchant pour la joie et tenait le fameux « Paris Bar », qui se trouvait à l’angle des avenues de Paris et Bourguiba. Ce lieu avait la réputation d’être le rendez-vous des turfistes et ne désemplissait jamais. Dernier de cette lignée, Henri Diacono a coulé une retraite heureuse à Kélibia et racontait avec émotion les riches heures du Paris-Bar et des turfistes. Le cheval, c’est une passion maltaise et les amateurs se souviennent des familles Micaleff et Azzopardi qui possédaient de magnifiques chevaux et alignaient même des jockeys réputés. A l’autre bout de la chaîne, les bouchers maltais étaient également fort appréciés. Au Marché central, ils étaient nombreux et experts à l’image des Mangani. De même, la famille Montebello à Hammam-Lif possédait des boucheries de qualité. La viande chevaline a longtemps été l’apanage des bouchers maltais. Comment ne pas évoquer la famille Licari qui travaillait dans le domaine des vins et spiritueux ? Les vins Licari étaient sur toutes les tables et le public se pressait à la rue Charles de Gaulle dans un point de vente resté fameux. Non loin de là, Paul Mangani tenait lui aussi une enseigne de marchand de vin à la rue d’Algérie. On y vendait le « Saint-Georges », très apprécié des buveurs et des fines bouches. Il est difficile de retrouver tous les noms. Parfois, il y a un doute, comme pour les Bonici qui travaillaient dans le domaine de la librairie. Ou encore un doute comme pour la fameuse Angèle qui vendait ses fourrures à la place de la Monnaie. D’autres fois, les noms vous échappent, sont difficiles à retrouver. Il faut alors creuser sa mémoire pour laisser remonter le souvenir…

***

Je me souviens du salon Pace à la rue Jamel Abdenasser. Ce salon de coiffure avait une clientèle choisie et était tenu par une famille maltaise. Je me souviens aussi de l’atelier de réparation de radios du sieur Grech. Il se trouvait rue Saint-Jean jusqu’à la fin des années 1970. Beaucoup de noms fleurent bon la mémoire maltaise. Citons les Farrugia, les Fenech ou les Buhagiar. Citons aussi les Tabone, les Camilleri ou les Barthalo. Que de noms que les Tunisiens n’oublieront pas de sitôt à l’image des Muscat, Agius, Scicluna, Karuana, Balzan et autres Schembri. Tous ces noms m’ont sauté au visage à deux reprises ces derniers temps. D’abord à Malte, alors que j’arpentais la rue principale de La Valette. Je lisais les enseignes et je retrouvais des noms que je connaissais comme Borg ou les Chetcuti. Toutes les boutiques de cette avenue me renvoyaient au Tunis de mon enfance et évoquaient le souvenir de tant de souvenirs. Quelques semaines plus tard, en période de Toussaint, alors que je marchais dans les allées du cimetière du Borgel, les mêmes noms ont surgi mais cette fois sur le fronton des caveaux. Comme si cette mémoire maltaise que je recherche sans cesse se trouvait entre la mort, la vie et l’oubli parmi ces sépultures. Cette mémoire maltaise, il faut savoir la retrouver partout, dans les lieux de culte et ailleurs, dans le souvenir. Nous y reviendrons !

Hatem Bourial Tunisie-Hebdo du 06/05/2019




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