Des petits vœux bien propres

Des petits vœux bien propres
Tribune
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Tribune | Par Mohamed Habib Salamouna, professeur de français
Dans une société où l’on prend plus de résolutions que de décisions, il est permis de formuler une fois par an quelques vœux qui n’ont nul besoin de grégorien pour demeurer pieux. Permettez-moi donc de sacrifier à un usage qui soulage le cœur sans changer quoi que ce soit au sacro-saint ordre établi. Pour 2019, je souhaite la disparition des intermédiaires qui ne transmettent pas, des libraires de quartier qui refusent de déballer les journaux arrivés tardivement sous prétexte qu’il est déjà midi, des préposés du péage qui exigent l’appoint en arguant que tout le monde le fait, des peintres qui vous expliquent longuement ce qu’ils n’ont pas su représenter sur leurs toiles, des épiciers qui vous disent qu’ils voient bien à qui ils ont affaire et qui, la minute d’après, n’en exigent pas moins des arrhes, des généraux ou des colonels qui n’entament aucune conversation avant de s’enquérir de votre grade dans la réserve, des patrons auprès desquels vous allez solliciter une juste augmentation et qui font dévier la conversation sur le pénible sort des dirigeants révocables ad nutum, des voisins d’avion qui croient intéressant de vous raconter, dans la minute qui précède le décollage, tous les accidents auxquels ils ont miraculeusement échappé, des théâtreuses qui sont persuadées d’avoir du talent parce qu’elles ont beaucoup joué la comédie dans les chambres à coucher, de certaines femmes mariées qui méprisent les péripatéticiennes de ne pas savoir se contenter, comme elles, d’un seul client, des Messalines de faubourg qui vous préviennent qu’on n’aura pas leur cœur alors qu’elles savent pertinemment que vous ne visez pas si haut, des hôteliers qui vous réveillent à huit heures pour savoir si vous gardez la chambre après midi, des restaurateurs qui font la tête parce que parce que vous ne prenez pas de l’eau minérale et qui veulent à toute force vous caser le plat du jour, des médecins dont le répondeur se borne à préciser qu’ils sont actuellement en vacances, et des tailleurs d’habits qui, tout en prenant vos mesures, remarquent entre haut et bas que votre bras droit est plus long que le gauche, que votre tour de taille s’est encore épaissi et que vos deux jambes ne semblent pas sorties du même moule. Je demande également que la loi punisse sévèrement les demeurés qui s’obstinent à prendre la parole sur les rares sujets que je connaisse un peu, les ménagères qui laissent leur linge à sécher alors que la pluie tombe à verse, les artistes qui font carrière alors que je ne leur ai jamais trouvé aucun talent, les taxis qui s’arrêtent n’importe où et de préférence au milieu de la rue pour bien montrer la suprématie de ceux qui travaillent sur ceux qui se promènent, les assassins du secret professionnel qui n’en finissent pas de rouvrir les plaies qu’ils n’ont pas été capables de guérir, les impudents qui, roulant à bord de voitures strictement identiques à la mienne, prennent la responsabilité de banaliser mon rêve, les services de réclamations téléphoniques dont le préposé absent, sourd ou philosophe, ne répond jamais, les hommes politiques qui disent plus de six fois « moi, je » dans une courte allocution destinée à rendre hommage à autrui, les nantis qui bâfrent aux tables des trois-étoiles pour lutter contre la faim dans le monde, les imams bigots qui vous font raconter par le menu vos turpitudes avec l’arrière-pensée qu’il vous échappera quelques bonnes adresses, les commerçants qui, par le jeu des soldes, vous proposent dix pour cent plus cher des articles invendus depuis deux ans, les policiers qui, parce que vous avez mal garé votre automobile, s’informent du nom de jeune fille de votre mère, les contrôleurs du fisc qui ne commencent jamais une vérification sans murmurer hypocritement qu’ils changeraient bien leur place contre la vôtre, le garagiste tant pis qui hoche douloureusement la tête dès qu’un pneu est dégonflé, le garagistes tant mieux qui, sous-estimant la gravité des pannes, ne vous accorde même pas l’autonomie de déplacement qui vous permettrait d’aller jusque chez son concurrent les plus proche, l’électricien qui, après avoir mis à nu tous les fils de l’installation, s’en va en déclarant que la raison du court-circuit lui échappe et qu’il vaut mieux faire appel à quelqu’un d’autre, les fabricants de lave-linges tellement perfectionnés que les revendeurs n’y comprennent plus rien et dont, à chaque manipulation, le dispositif laisse échapper un de ces cris aigus de fille chatouillée dont parle Paul Valéry dans Le Cimetière marin, les plombiers débordés qui vous conseilleront bientôt de venir les consulter chez eux en apportant votre baignoire ou votre lavabo, les « Hijouj et Mijouj » (qui ont donné du fil à retordre à notre ami Imed Ben Hamida) et tutti quanti.



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