L’amertume des olives noires

L’amertume des olives noires
Chroniques
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Aujourd’hui, le temps a fait son œuvre. Les traumatismes du passé proche semblent dépassés. Comment en serait-il autrement après une épuration insidieuse qui a, lentement et méthodiquement, éliminé juifs et chrétiens du paysage de ce pays que nous avions pourtant en commun. L’histoire nous a appris que la Tunisie est une terre de confluences. Humainement, elle ne l’est plus aujourd’hui. Ce petit pays est désormais recroquevillé sur lui-même et ses illusions de grandeur. Proie des wahabistes, notre pays est consentant à cause de la vénalité légendaire de ses élites. La pratique religieuse ostentatoire sert de cache-sexe à toutes sortes de petites combines. Et les discours sur la tolérance ne trompent plus personne. Ma propre génération est en train de mourir. Dans une trentaine d’années, il ne restera plus rien en Europe des nostalgies ensoleillées qu’entretiennent encore les natifs de Tunis. Ceux-là aussi qu’on a arrachés à leur pays natal sont en train de s’en aller. C’est une autre Tunisie qui fleurit sur les décombres du vingtième siècle. Elle rêve de race pure, de religion supérieure et de conquête de l’Europe. Elle se vautre dans des fantasmes guerriers qui n’épargnent pas la reconnaissance la plus élémentaire de l’altérité la plus proche. Dans ce pays qui, moralement, s’effondre tout en se racontant des histoires, comment continuer à vivre en se taisant ? Comment d’ailleurs continuer à vivre tout court dans ce pays que sa propre jeunesse déserte, fuit, pleure et renie ? J’ai peur de ces nouveaux féodalismes qui montent, de cette haine qui déferle et ces fondamentalismes qui guettent. Je redoute par-dessus tous ces faux-dévots qui, drapés dans une vertu factice, démolissent notre être –dans-le-monde pour mieux nous emprisonner demain. Confinés dans les solitudes de l’intégrisme, beaucoup de jeunes Tunisiens ne savent plus qui ils sont ni ce qu’ils étaient. Embrigadés, conditionnés, décervelés, ces jeunes vivent dans des mondes clos, hermétiques. Ils ont oublié que notre pays a plein de portes, de fenêtres et un millier de kilomètres de côtes. Cette jeunesse porte en germe la catastrophe qui ne tardera plus. L’autre jeunesse fout le camp et tous ceux qui se taisent meurent à petit feu. Comment être pessimiste quand on aime les olives noires ? Je me le demande. Je ressens en tout cas bien des craquements. Mes yeux décèlent failles et brisures qui s’approfondissent. Peut-on vivre indemne dans un pays qui, à la recherche de ses racines, s’attaque à ses fondations les plus solides ? Alors que l’école et l’hôpital sont dans la tourmente, d’autres périls nous guettent. Saurons-nous prendre leur mesure avant qu’il ne soit trop tard ? Saurons-nous conjurer l’amertume des olives ?



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