Migration des compétences françaises vers l'Afrique via la Tunisie

Migration des compétences françaises vers l'Afrique via la Tunisie
National
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Si la visite à Tunis du président français Emmanuel Macron, ces mercredi 31 janvier et jeudi 1er février 2018, relance la question de la réforme de l’enseignement supérieur et des formations professionnelles, l’annonce d’un projet d’une université tuniso-française intrigue davantage lorsqu’elle cible l’Afrique et la Méditerranée. D’autant plus que la Tunisie compte déjà de nombreuses universités et écoles, soit françaises, soit tunisiennes et en partenariat avec des établissements français. On pourrait alors s’interroger sur le timing de cette initiative issue des divers objectifs de la nouvelle stratégie de coopération bilatérale entre la France et la Tunisie dont la professionnalisation de l’enseignement supérieur en Tunisie représente un enjeu pour sa transition économique et sociale. Certes, former la jeunesse tunisienne, au tertiaire plus particulièrement, correspondrait à une volonté de lutte contre le chômage et au développement des entreprises dans des secteurs clés (agriculture, industrie, services) pour relancer l’économie tunisienne mais « la nouvelle donne » de stratégie bilatérale révèle par la même occasion son désir de conquérir le marché africain. Une stratégie non plus basée sur un simple partenariat bilatéral construit à travers des accords politico-économiques mais sur la co-construction, la co-localisation, la production d’une offre conjointe à destination de l’Afrique et ce grâce à la mobilité et l’agilité, excluant la libre circulation des personnes des accords de libre-échange. Une réponse à la question de la migration et à la lutte contre la radicalisation impactant la France dont la résolution du problème remonte ainsi jusqu’à la potentielle source ou le dernier rempart de sécurité avant l’Europe.
Libre-échange en Afrique
Le renforcement des accords de libre-échange (ALECA) faisant polémique en Tunisie aux vues des produits tunisiens non compétitifs sur le marché européen, il prendrait alors tout son sens une fois l’offre tunisienne tournée vers le continent africain dans le respect d’une stratégie bilatérale avec la France basée sur une production conjointe avec la Tunisie : la France produisant de nouvelles compétences en Tunisie et la jeunesse tunisienne devenue sous-traitante de biens et services à destination de l’Afrique. Une université tuniso-française et un perfectionnement des centres de formations qui par effet boule de neige attireraient encore plus d’étudiants sub-sahariens à la recherche d’un emploi non plus nécessairement en France mais en Tunisie. On a souvent reproché à la Tunisie de ne pas intégrer ses étudiants internationaux fraîchement diplômés sur le marché du travail, sans compter les difficultés d’intégration sociale qui ont affaibli les relations diplomatiques de la Tunisie avec ses frères africains. Des problèmes accentués par des démarches administratives et consulaires laborieuses pour l’obtention de visa et de carte de séjour où de nombreux étudiants ou travailleurs se retrouvent en situation irrégulière sur le territoire tunisien. Des facteurs qui ont freiné le nombre d’inscription d’étudiants sub-sahariens privilégiant ainsi des destinations comme le Maroc, notre principal concurrent et dans bien des domaines où nous sommes souvent comparés mais surtout dans des secteurs où le Maroc a su s’intégrer de manière à pénétrer le marché africain.
Initiative tuniso-française ou franco-tunisienne ?
Ainsi, cette nouvelle université d’Afrique et de Méditerranée répond à plusieurs objectifs interdépendants quand bien même il existe déjà un réseau panafricain de l’enseignement supérieur et de centres de formation. Tel est le cas d’Honoris United Universities (initiative de l’Université Centrale – Tunisie) dont la devise est « trouver des solutions pour l’Afrique par des Africains » à travers des échanges de connaissances et de compétences entre les universités de Mundiapolis (Maroc), Regent Business School et Mancosa ( Afrique du Sud) avec des bourses et des stages au profit de tous les étudiants. La concurrence ne manquait déjà pas aux vues des nombreux partenariats franco-tunisiens en terme d’enseignement supérieur mais il semble que l’intérêt soit particulièrement porté sur l’ingénierie :
  • partenariat entre l’École National des Ingénieurs de Bizerte (ENIB) et l'Ecole nationale supérieure des arts et métiers de Paris (ENSAM),
  • filière "ENIT-TA" résultant d'un partenariat entre l'Ecole Nationale Supérieure des Techniques Avancé (ENSTA-ParisTech) et l'Ecole Nationale d'Ingénieurs de Tunis (ENIT).
De même que les avis divergent entre faillite de l’enseignement supérieur et des formations professionnalisantes tunisiennes et fuite des cerveaux vers la France à travers les opportunités de Campus France. Dans les deux cas, l’intérêt national emporte bien évidemment et tout le jeu réside dans la stratégie diplomatique des pays dont les intérêts communs résident désormais en Afrique. Miser sur l’humain, voilà le nouvel investissement pour conquérir l’Afrique avec la langue française commune à plusieurs pays cibles et renforçant les atouts d’une diplomatie de « soft power » grâce à la Francophonie soutenue et félicitée par Emmanuel Macron lors de son discours à l’ARP ce 1er février 2018. Quant à la Tunisie, elle misera sur les principes d’équitabilité, de mobilité et d’agilité énoncés dans cette nouvelle stratégie du couple franco-tunisien.

Sonia Falcou




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