Tunisie : Quand l'Etat sombre dans la compromission

Tunisie : Quand l'Etat sombre dans la compromission
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Tunis Hebdo | A priori, il semblerait que "l’affaire Petrofac" a connu son épilogue avec la signature intervenue vendredi dernier de l’accord entre des représentants du gouvernement et les protestataires, les fameux 266, qui bloquaient depuis de nombreux mois toute activité de production de l’entreprise en question, mais aussi dans toutes les îles de Kerkennah. Tout a été dit, ou presque, sur cette "affaire" qui symbolise à notre humble avis une des facettes de la Tunisie de l’après 14 janvier 2011, une Tunisie où certains phénomènes acquièrent la dimension d’une règle à laquelle il convient de ne plus y toucher, des règles sacro-saintes. Auparavant, il est important d’affirmer que l’affaire Petrofac a été une nouvelle occasion pour faire le terrible constat de l’incurie de l’Etat et de l’incapacité des gouvernants à agir avec promptitude et efficacité, de nature à contenir les tensions et à gérer les crises avant qu’elles ne connaissent une tournure néfaste, voire extrêmement nocive pour son prestige et son autorité. On sait que la crise durait depuis de nombreux mois sans que les gouvernements qui se sont succédé aient pu lui trouver l’issue idoine. Pire même, puisque Youssef Chahed a hérité d’une situation peu reluisante avec des "protestataires" en prison et d’autres qui ont poussé l’Etat vers la sortie en y empêchant les forces de sécurité de mettre pied dans les îles. Lorsqu’il a été investi du poste de Chef de gouvernement, ce dernier n’avait réagi que lorsque la société Petrofac a pris la décision d’arrêter toute activité en Tunisie et de faire ses valises. Or, et alors qu’il était au fait de la situation dans les îles Kerkennah, Youssef Chahed, et comme il le laissait entrevoir dans son discours d’investiture, aurait dû prendre les devants et s’attaquer à ce dossier bien plus tôt. Il y avait deux types de décisions à prendre par Youssef Chahed pour tenter de donner l’impulsion à son gouvernement en lui assurant un départ positif aux yeux aussi d’une opinion publique qui n’attend que la restauration de l’image d’un Etat défaillant. La première consistait dans l’imposition de la présence des forces de sécurité à Kerkennah. Cet aspect de la question n’acceptait ni négociation, ni marchandage. Le fait que cet aspect de la question ait fait l’objet de palabres et de discussions est inacceptable sur la forme et sur le fond. Car l’une des conditions les plus élémentaires de la légitimité de l’Etat est la garantie de la sécurité des citoyens, de leurs biens et de la bonne marche des activités économiques. En étant le seul détenteur légitime de l’usage de la force publique, l’Etat se devait donc d’être présent, voire omniprésent pour assurer ce "smig" à ses propres citoyens. La seconde consistait à ouvrir immédiatement les discussions avec les protestataires pour tenter de surmonter les obstacles et trouver les solutions nécessaires de manière à satisfaire l’ensemble des parties. Laisser pourrir la situation, faire traîner les choses et n’agir que pour essayer d’éteindre le feu ne pouvaient que restreindre la marge de manœuvre du gouvernement qui s’était retrouvé piégé du fait de ses propres atermoiements. Au lieu de parvenir à des compromis qui pouvaient sauvegarder les intérêts des uns et des autres, le gouvernement a sombré dans la compromission en accédant à des revendications que l’on ne peut imposer à un Etat qui se respecte ! Si Youssef Chahed se félicitait de la réussite de ce "dialogue" faisant son apologie en le considérant comme le seul moyen de trouver des solutions à nos multiples problèmes dans une Tunisie respectueuse des libertés des citoyens et de leurs droits, on ne peut que louer cette orientation. Il est clair que la Tunisie d’aujourd’hui doit continuer dans cette voie et faire en sorte que l’exercice des droits et libertés devienne effectif et définitivement acquis. Mais, il convient aussi de rappeler que le dialogue a ses règles, et que l’Etat a un statut et une mission dans la société qu’il se doit de défendre et d’accomplir. L’Etat est le protecteur et le promoteur de l’intérêt général. Son action est seulement guidée par ces objectifs. Laisser des minorités, quoiqu’agissantes, se dresser en obstacles devant l’accomplissement de cet intérêt général constitue une atteinte et une violation de la loi. Et c’est là qu’intervient la force de la loi et la nécessité de son application. La loi ne constitue pas une épée de Damoclès sur la tête des citoyens normaux et respectueux de la législation de leurs pays et de ses règles, mais aussi sur ceux qui seront tentés de la transgresser pour faire prévaloir leurs propres intérêts au détriment de ceux de la société toute entière. Dans ce cas, l’action de l’Etat serait à la fois légale, parce qu’elle serait conforme à la législation en vigueur, et légitime parce qu’elle défendrait et protégerait l’intérêt général. Juridiquement, l’Etat serait dans son droit, de même politiquement et aux yeux de l’ensemble de l’opinion publique, son action servirait à préserver les intérêts du pays. Tout ceci pour dire que le traitement de ce dossier de Petrofac a été mal ficelé, avec amateurisme et légèreté sans prendre en considération ses implications morales et politiques. Si aujourd’hui, l’Etat discute et négocie de sa propre présence dans une localité ou accepte les compromissions, il n’est pas certain que cela ne produise pas un effet boule de neige qui serait désastreux pour tout le pays dans une conjoncture aussi délicate. Le prestige de l’Etat et son autorité consiste surtout dans sa capacité de trouver des solutions politiquement légitimes et juridiquement légales, bref un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et l’exercice de leurs droits par les citoyens !

L.L.




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