Tunisie : Pour une fiscalité citoyenne !

Tunisie : Pour une fiscalité citoyenne !
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Tunis Hebdo | L’année 2015 s’achève dans une ambiance plutôt morose et dans un climat pas, franchement, optimiste quant à la capacité des forces politiques au pouvoir de mener à bien l’œuvre de réforme, pourtant nécessaire si l’on veut voir le pays sortir de sa léthargie et enclencher une politique de développement suffisamment audacieuse pour le remettre sur les rails afin d’édifier un nouveau système plus juste et plus équitable, entre les classes et entre les régions. Les grandes lignes de l’année prochaine ont été déjà tracées par la loi de Finances 2016 qui a été dernièrement votée par l’Assemblée des Représentants du Peuple avec 142 voix favorables contre 7 abstentions alors que l’on n’a enregistré aucune voix hostile. Ce vote ne signifie pas, pour autant, qu’il n’y a pas d’opposants à cette loi ou qu’elle fait l’unanimité ! Au contraire, les différentes factions de l’opposition ont préféré quitter l’hémicycle et ne pas prendre part au vote pour protester contre certaines dispositions de cette loi qu’elles considèrent comme contraires à l’esprit de la révolution, et occultant de douteuses résolutions avec la contestation d’une dizaine d’articles.
Le "fameux" article 61
Celui qui a soulevé le plus de critiques est l’article 61 qui serait, selon les députés du « front de refus », un véritable substitut au fameux projet de loi relatif à la réconciliation économique, ce dernier projet ayant été à l’époque fortement critiqué par l’opposition alors qu’il a été soutenu par les forces politiques au pouvoir. Cette disposition serait, selon ses détracteurs, un véritable blanc-seing pour les auteurs d’infractions au change qui seront innocentés et une décision qui favoriserait les corrompus et le blanchiment d’argent. Cette contestation des opposants ne s’est pas limitée à leur désertion des bancs de l’ARP mais elle s’est exprimée, aussi, par le biais d’un recours auprès de l’Instance Provisoire de Contrôle de la Constitutionnalité des Lois. L’objectif de l’opposition est de faire déclarer certaines dispositions comme contraires à la Constitution, une démarche conforme à un esprit démocratique encore en gestation. Indépendamment de la décision qui émanera de ce contrôle de la constitutionnalité de certains articles de la loi de Finances et de son impact, surtout si elle va dans le sens d’en annuler leur contenu ou seulement quelques parties, le problème qui persiste est que cette loi risque de n’avoir qu’une influence limitée sur l’ensemble de la vie économique. Car elle n’entre pas dans le cadre d’une vision globale quoiqu’elle prévoie quelques mesures qui pourraient se révéler intéressantes si jamais elles sont appliquées de manière rigoureuse.
Ce sont les salariés qui sont les "meilleurs" contribuables
Les principales mesures se rapportent à la fiscalité. Celle-ci demeure encore l’un des maillons faibles du système tunisien qui se caractérise par son injustice et son iniquité. Ces mesures visent, semble-t-il, à instaurer une plus grande justice fiscale. En effet, et depuis des décennies, ce sont les salariés qui sont les « meilleurs » contribuables et les plus grands « argentiers » de l’Etat. Il faut dire que la retenue à la source sur leurs (maigres) revenus ne leur laisse aucune chance de prendre en défaut le fisc. En revanche, d’autres catégories sociales étaient particulièrement privilégiées ayant de grandes possibilités d’échapper aux « foudres » de l’administration, et l’évasion fiscale était érigée en sport national par plusieurs professions qui réalisent des fortunes, frisant parfois l’indécence dans un pays où certaines gens n’arrivent pas à manger à leur faim. Cet état des choses devrait changer si nous voulons réduire ce sentiment de frustration, et cela par le biais d’un changement radical de l’approche de la fiscalité que ce soit du côté de l’administration ou du côté du contribuable. Du côté de l’administration, personne n’ignore que la fiscalité a été utilisée par l’ancien régime comme une sorte d’épée de Damoclès sur la tête des citoyens qui lui résistaient, qui refusaient de « rentrer dans les rangs » ou qui ne se soumettaient pas à ses désidératas. Le redressement fiscal était habilement usité comme l’arme idéale pour faire plier les plus solides volontés. C’est donc une approche administrative nouvelle qui doit être mise en place avec des administrateurs probes, rigoureux et légalistes. Sans cela, on ne peut développer une administration fiscale juste et intègre. L’autre aspect se rapporte à la modernisation des méthodes et des techniques de gestion de ce système fiscal. On parle, désormais, de la mise en place pour certains commerces de caisses enregistreuses directement reliées au serveur du ministère des Finances. On devrait applaudir l’initiative à la condition que les citoyens-consommateurs jouent le jeu et que les principaux intéressés en acceptent les règles.
Payer l’impôt est un devoir citoyen
Or, ces derniers ne pourraient adhérer positivement à ce nouveau système contraignant et autrement plus coûteux pour eux que s’ils estiment ne pas être les seuls à « payer » cette note rédemptrice ! Autrement dit, d’autres professions, notamment certaines professions libérales, se refusent encore à daigner faire des « sacrifices » et résistent à tout changement. Sur ce plan, il faut dire que le gouvernement reste très prudent au point que l’on se demande s’il est vraiment décidé à les soumettre à la réalité de l’impôt. En fait, et avant de parler d’un éventuel bras de fer, il nous semble que c’est la philosophie de l’impôt qui doit évoluer dans l’esprit de ces gens d’une manière particulière, et de celui de tous les citoyens d’une manière générale. Ils doivent se dire que payer l’impôt est un devoir citoyen, par ailleurs sévèrement sanctionné dans d’autres contrées. Dans les pays anglo-saxons, s’acquitter de l’impôt est un devoir sacré, et les récalcitrants risquent même des peines privatives de liberté, c’est-à-dire la prison. L’impôt établit, aussi, un minimum de solidarité entre toutes les catégories sociales dans la mesure où le devenir de tout Tunisien est intimement lié à celui de son voisin. C’est pour cela qu’il doit être progressif et tributaire des revenus réels de chacun. Le passage aujourd’hui d’un régime forfaitaire peu rentable et inique à un régime réel plus conforme à la vérité, est une nécessité économique et sociale.
Une loi de Finances demeure insuffisante
Cela ne réduira pas à la « pauvreté » les riches d’aujourd’hui, mais les invitera, peut-être, à sentir qu’ils ne vivent pas seuls ou seulement entre eux ! Et enfin, l’Etat, à qui on demande d’assurer la protection de nos vies et de nos biens, et la garantie de l’avenir de nos enfants, a besoin de moyens pour assumer pleinement toutes les missions qui lui sont dévolues. Mais il est évident qu’une loi de Finances, quelle que soit sa pertinence, demeure insuffisante si elle ne s’insère pas dans une politique économique et sociale intégrale qui prenne en considération tous les aspects, et qui se projette dans l’avenir, sur plusieurs années. Aujourd’hui, c’est ce projet qui manque le plus ! Le reste, comme la loi de Finances n’est qu’une technique, un simple instrument de sa consécration dans le réel…

L.L.




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