Plaidoyer pour une Tunisienne sans papiers

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Chroniques
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Ces dernières semaines, la nationalité tunisienne a été octroyée à un basketteur et, au cours des années antérieures, deux footballeurs brésiliens ont obtenu cette nationalité tunisienne. Dans ces deux cas, cet octroi s'est fait pour que ces sportifs puissent renforcer nos équipes nationales. Cette démarche souligne bien que la nationalité tunisienne, on la donne quand on veut et comme on veut. Et qu'on ne vienne pas me dire le contraire...
L'avanie faite aux minorités
Pourquoi je vous parle de cela ? Parce qu'au hasard d'une conversation, je viens d'apprendre que l'orthophoniste Muriel Bessis a engagé une démarche pour retrouver sa nationalité tunisienne et que la réponse des autorités a été négative. Un "non" sec et sans recours, un véto sans autre forme de procès viennent d'être brandis au visage de cette femme qui, pourtant, mérite de la Tunisie à plusieurs titres. Née Tunisienne, Muriel Bessis a perdu sa nationalité après son départ pour la France dans les années soixante. Faudrait-il revenir sur le caractère de ce départ, sur le fait que la Tunisie de Ben Salah avait poussé vers la porte toutes ses minorités en faisant peser sur elles de nombreuses lois scélérates et en pratiquant des expropriations massives ? De fait, malgré elle, malgré des racines tunisiennes séculaires et évidentes, la famille de l'alors toute jeune Muriel s'est retrouvée hors du pays natal et sans espoir de retour... Les lois étaient ainsi faites: autrefois, la double nationalité n'existait pas et en cas de mariage par exemple, vous perdiez votre nationalité d'origine. C'est d'ailleurs ce qui arriva à Muriel Bessis puisque la nouvelle loi sur la double nationalité n'existe que depuis 1973.
Le recours du président de la République
Depuis, cette femme brillante et de renommée internationale a vécu avec ce manque. Depuis, elle a toujours voulu retrouver son identité tunisienne. Depuis, elle a toujours gardé son lien insécable avec la Tunisie. Mais voilà, les autorités tunisiennes ne l'entendent pas de cette oreille ! Devant le rejet de sa demande en nationalité, Muriel Bessis a saisi le président de la République qui, peut-être, sauvera l'honneur de la Tunisie. Car c'est bien d'honneur qu'il s'agit ! Pourquoi, en effet, amputer une seconde fois une personne blessée par les soubresauts de l'histoire ? Pourquoi ne pas reconnaitre à Muriel Bessis qu'elle mérite de la Tunisie ? Pourquoi punir par ce refus absurde une femme dans la force de la maturité qui n'aspire qu'à un retour au pays natal ? Muriel Bessis a mis toutes ses économies dans la restauration de la maison familiale qu'elle habite pour trois mois puis trois nouveaux mois puis trois autres mois car, sans carte de séjour ni nationalité tunisienne, elle est condamnée à cette ridicule valse aux frontières. Serions-nous à ce point schizophrènes et adeptes du double discours ? En fait, nous nous mentons à nous mêmes lorsque nous parlons d'ouverture, de générosité et d'humanisme... En tous cas, ce cas individuel est exemplaire de nos ratages absolus et de notre honte devant l'Eternel. Pourquoi jeter aux bureaucrates la dignité d'une femme qui ne fait que demander ce qu'elle a perdu à cause d'une histoire heurtée ? Pourquoi refuser de rendre sa nationalité à Muriel Bessis, une scientifique universellement connue qui a tant donné à son pays ?
L'honneur d'une femme jeté en pâture aux bureaucrates
Je reste perplexe, trouble, piteux... Quand je pense à l'Espagne qui a rendu leur nationalité aux persécutés et aux exilés de l'inquisition ! Quand je pense à l'Europe qui continue à ouvrir les bras aux misérables de la Terre entière ! Comment accepter que la Tunisie, non contente de castrer sa jeunesse actuelle qui ne rêve que de partir, s'évertue à punir celles et ceux qui l'aiment, y compris et surtout une femme qui, dans ces temps où tout le monde nous fuit, choisit de retourner au pays ? Quelle avanie ! Quel camouflet ! Quelle bassesse ! Quelle ignominie ! Ils pourront nous faire avaler toutes les couleuvres et pas cette turpitude... Ils pourront toujours se gargariser avec des discours tartuffes sur la dignité, ils n'en continueront pas moins à se vautrer dans toutes les fanges du déshonneur... Pourquoi humilier la Tunisie avec ce refus inexplicable de rendre son âme, son drapeau, sa vie à une femme qui en fait humblement la demande ? Pourquoi, par ricochet, humilier cette femme dont le "tort" originel est d'avoir été poussée vers la porte par les prédécesseurs bureaucrates de ceux qui la crucifient aujourd'hui ? Je suis confus, consterné, déconfit mais convaincu que la raison, l'équité et la morale la plus élémentaire finiront par prévaloir...

Hatem Bourial




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