Tu jeûnes ? moi non plus...

Tu jeûnes ? moi non plus...
Chroniques
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Pour qu'il n y ait aucune ambiguïté, je voudrais dire tout de go que je compte parmi les jeûneurs et que je considère le mois du Ramadan comme un temps de frugalité et de contemplation. Cela ne m'empêche pas de reconnaitre leur droit le plus légitime à ceux qui ne jeûneraient pas. Leur droit le plus absolu doit être défendu sans nuances. De plus, le droit positif et la tradition leur donnent raison, avec une recommandation conviviale pour certaines formes de discrétion. D'ailleurs, ma propre lecture du Ramadan est fort minoritaire puisque ce mois sensé être frugal devient peu à peu celui de la grande bouffe. Y compris pour ceux qui rêvent d'intégrisme pur et dur et se voient en hérauts de la religion en milieu païen... Mais, dans ce cas, les islamistes fulminants sont les agents consentants des marchands du temple et de la société de consommation qui leur imposent des règles qui n'ont rien à voir avec le sacré et qu'ils se gardent bien de questionner.
LE GRIGNOTAGE SYSTÉMATIQUE DE TOUS LES ESPACES DE LIBERTÉ
Jour après jour, les affaires se multiplient et, n'eût été leur charge de violence, frôlent allégrement le ridicule le plus cocasse. Elles soulignent, en filigrane, le grignotage systématique de l'espace public et sa mise aux normes des lectures intégristes. L'ordre moral a de beaux jours devant lui et, encore une fois, les faits démontrent que, sous nos cieux, c'est le groupe qui écrase l'individu. Des gens illustres comme Tahar Haddad l'ont expérimenté il y a déjà longtemps et nous continuons à assister, impuissants, à des lectures musclées de textes de loi existants et qu'on active selon le bon vouloir de la maréchaussée. Que d’épées de Damoclès pendent au-dessus de nos têtes ! Disons-le clairement : nul ne pourrait se prévaloir de la modernité alors qu'il laisse tabasser des quidams car ils ne jeûnent pas. La remarque vaut également pour les gens qui sont jetés en prison parce qu'ils transportent des boites de bière dans le coffre de leur voiture. Tout cela est ridicule et achève de mettre en pièces un Etat auquel nous croyons et qui semble obnubilé par ces détails dictés par l'ordre moral qui prétend régenter nos vies, comme dans le plus totalitaire des systèmes politiques. Car n'est-ce pas le totalitarisme lorsque les représentants de l'Etat s'immiscent dans les détails les plus intimes de nos vies ? N'est-ce pas tout simplement ubuesque, face au terrorisme qui nous guette, de constater que trois canettes peuvent vous envoyer en prison alors que les assassins de notre pays menacent de toutes parts ? Et, a contrario, pourquoi personne ne trouve rien à redire dans les faits quant au port du niqab et de la barbiche daechiste, pour ne pas parler des drapeaux noirs ? Certains seraient-ils plus libres que d'autres dans nos démocraties musulmanes naissantes? N'admettons-nous pas, furtivement, que ce sont dans ces sociétés, les conservateurs qui ont raison dans tous les cas?
L'ORDRE MORAL CONSERVATEUR DES DÉMOCRATIES MUSULMANES NAISSANTES
La Tunisie passe par une phase délicate. Dès lors de grâce, épargnez-nous ces pantalonnades d'un autre âge... Coup sur coup, on a tabassé des gens dans un café, arrêté un jeune à cause de quelques bières - alors qu'on parle de légaliser le cannabis ! - puis menacé une radio nationale d'autodafé en comparant Youssef Seddik à Salman Rochdi ! Des affaires pour rien ! Et, heureusement, des sanctions sont tombées pour punir les abus de pouvoir et dérives constatées. Mais le mal est fait et le seuil du ridicule une nouvelle fois atteint. Il n'en reste pas moins que notre société est en voie d'archaïsation et en constante régression. Dans une société moderne, le jeûne d'un individu, par exemple, devrait être une question personnelle et non pas une affaire d'Etat. C'est là où le bât blesse car, comme nous le disions, sous nos cieux, l'individu a toutes les chances de vivre et mourir écrasé. Qu'on ne se demande pas ensuite pourquoi les forces vives et la jeunesse cherchent à fuir le pays. Comme l'a tragiquement exprimé un jeune Tunisien : "Je préfère la prison à Lampedusa plutôt qu'un pays où il n'y a pas d'espoir".
UNE VERSION ORIENTALE DU TOTALITARISME
Cessons ces mascarades inutiles tout en ayant à l'esprit la parabole du doigt qu'on donne avant de finir de se laisser prendre la main en totalité. Toutes ces gesticulations ont valeur de test : elles préparent le terrain à l'ordre moral intégriste, elles grignotent chaque nuance de liberté pour imposer cinquante nuances de noir, elles affirment l'emprise des conservateurs de tout poil sur la société tunisienne. Ces gestes de policiers zélés pourraient paraitre anodins. Seulement, ils interviennent dans le sillage et selon la philosophie intolérante de beaucoup d'incidents antérieurs. Car ces incidents du Ramadan sont de degré différent mais, au fond, de même nature que les raids revanchards contre les artistes à El Abdellia ou l'Africa ainsi que les campagnes insidieuses pour imposer le voile à des femmes dites consentantes. Toutes ces manigances consistent en fait à prendre le pouls de la société tunisienne en imposant une sorte de fait accompli et de mainmise de l'ordre moral. Si personne n y prête garde, si les pouvoirs publics continuent à laisser faire en ménageant la chèvre de l'intégrisme triomphant et le chou de la modernité, notre pays finira par se retrouver entravé par le mode de vie dont rêvent les islamistes de tout acabit, un mode de vie qui tourne le dos à la liberté et ouvre la voie à une version orientale du totalitarisme...



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