La Ligue des champions africaine est-elle devenue inaccessible aux clubs tunisiens ?

La Ligue des champions africaine est-elle devenue inaccessible aux clubs tunisiens ?
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La dernière fois qu’une équipe tunisienne a remporté la Ligue des Champions africaine remonte à 2011. Cette année-là, l’EST avait disposé du Widad Casablanca. L’année d’après, l’EST avait réussi, certes, à atteindre la finale mais s'était fait chiper son bien par Al Ahly d’Egypte, vainqueur à Radès 2-1. Depuis cette date, les "Sang et Or" sont rentrés petit à petit dans les rangs. Loin désormais est le temps où les équipes tunisiennes partent parmi les favoris potentiels pour le sacre final. Il faut remonter aux années 2000 pour voir l’Etoile réussir à trois reprises (2004, 2005 et 2007) à atteindre la finale de la plus prestigieuse des compétitions africaines. Elle est arrivée à glaner le trophée dans sa troisième tentative après un match mémorable au Caire, le 9 novembre 2007 (victoire sur Al Ahly 3-1). Dans les éditions de 2006 et 2010, le CSS et l’EST ont échoué au pied du podium devant respectivement Al Ahly et le TP Mazembe. Dans l’actuelle édition, l’EST et le CSS quittent la compétition précocement. Ils échouent à se qualifier à la phase des poules, ce qui correspond à un camouflet pour tout le football tunisien. Cet affront n’est pas sans laisser des interrogations dans les milieux du ballon rond. Pourquoi les équipes tunisiennes n’arrivent plus à atteindre un tour avancé de cette compétition ? Le football tunisien s’est-il dégradé à un niveau tel qu’il est devenu incapable de placer ces représentants dans la phase des poules ? S’il est légitime de chercher les raisons qui sont derrière le dénivellement du football tunisien, les différents intervenants doivent s’employer à trouver les solutions idoines à cet état de fait. L’objectif étant de réhabiliter notre football et de lui donner les moyens de recouvrer la place qui était la sienne… C’est dans ce souci bien précis que nous donnons la parole à cette pléiade de techniciens et d’anciens joueurs…
Mahmoud Ouertani : "Détérioration de l'infrastructure, absence de formation, de financement et de stratégie"
Pendant un certain temps, on a toujours eu des clubs qui arrivent au carré d’as de la Ligue des Champions, et ce, en dépit du niveau de notre championnat que je qualifie de faible. Aujourd’hui force est de constater qu’on n’y arrive plus. La raison fondamentale est que notre football ne cesse de reculer. Il faut savoir que plusieurs paramètres permettent au football de progresser. J’en citerai quatre qui font manifestement défaut chez nous : L’infrastructure : c’est le talon d’Achille dont notre football souffre. Le constat qui s’impose est que tout est en train de se détériorer. Nos stades ressemblent dans leur majorité à des champs de patate. Sachez que tandis que nous reculons, les autres nations qui nous étaient plus ou moins inférieures ne font qu’avancer. Pensez à la Guinée qui a organisé à deux reprises la CAN, sans oublier les exemples de l’Algérie et du Maroc. La formation : c’est là un autre problème qui porte préjudice à notre football. Depuis de longues années on demande l’aménagement des temps scolaires pour qu’il y ait une formule adéquate permettant aux jeunes de réussir leur scolarité et de se consacrer au sport. Il faut se rendre à l’évidence par ailleurs que nous ne possédons pas de centres de formation dignes de ce nom. Celui d’Ennadhour à Bizerte est dans un état piteux, cela fait mal au cœur. Les clubs qui sont mieux lotis n’offrent pas un meilleur spectacle avec un sérieux problème d’encadrement, et des gamins souvent délaissés. Le financement : on sait l’importance des mécènes dans le football particulièrement chez nous ; or le problème réside dans le fait que ces derniers s’entourent de gens arrivistes qui ne connaissent rien au football. On n’a pas le sentiment que ces gens s’intéressent au football par passion. Les vrais mécènes sont quasiment inexistants ici. La stratégie : voilà un autre point faible de notre football. Force est de constater que nos clubs n’ont pas véritablement de stratégie, c’est-à-dire des projets bien étudiés en fonction des moyens dont ils disposent. Tout objectif doit reposer sur un projet conçu par rapport à des moyens, ce n’est pas le cas en Tunisie. La stratégie concerne également les recrutements et les transferts. Nombreux sont les exemples de défaillance à ce propos. Il n’est que de penser au cas de Darragi pour constater le dysfonctionnement et le gâchis. Il est clair que ce joueur pétri de talent est victime d’un problème d’encadrement. Tels sont à mon avis les points qui expliquent le recul notre football et par conséquent celui de nos équipes sur le plan continental.
Mahmoud Bacha : "Absence de stabilité technique"
C’est là l’accumulation de divers problèmes dont notre football souffre depuis une dizaine d’années. On peut faire une comparaison avec un pays voisin comme l’Algérie qui, grâce aux moyens, a réussi un bond qualitatif formidable ces derniers temps. Les nôtres demeurent modestes et cela n’est pas sans incidences. Avant, il y avait plus de sérieux, plus de rigueur car derrière il y avait de l’autorité et de la stabilité. Ce que l’on constate aujourd’hui, c’est tout à la fois un problème de gestion et de fonctionnement aussi bien au niveau des clubs qu’au niveau des instances fédérales. Prenons l’exemple de l’Espérance qui d’année en année ne cesse de reculer dans sa participation en ligue des champions. La raison principale réside à mon avis dans l’absence de stabilité technique. On ne compte pas le nombre de techniciens qui se sont succédé ces derniers temps. Sans stabilité sur ce plan, on ne peut pas aspirer à aller loin. Je pense que le CA a retenu la leçon de la saison dernière en gardant son entraîneur Daniel Sanchez cette année. La stabilité est un atout considérable dans la réussite. Notre problème n’est pas d’ordre technique car sur ce point les équipes algériennes qui percent en ligues des champions ne sont pas supérieures aux nôtres. Ce qui fait la différence c’est la stabilité technique mais aussi mentale. Il existe un autre point qui nous a fait beaucoup de tort, c’est le fait de jouer depuis plusieurs saisons à huis clos. Je crois que ceci a tué un peu notre football.
Mrad Mahjoub : "Une situation prévisible"
J’estime que le sport en général n’est pas étranger à la situation que connaît le pays. L’influence du climat social et politique sur le football est évidente. Le sport est par conséquent un indicateur de tout ; le football est un phénomène social par excellence auquel il faut apporter beaucoup de soins. Je déplore qu’on ne lui donne pas la place qu’il faut. Concernant le recul de nos clubs pour lesquels la ligue des champions devient ces derniers temps inaccessible, je pense que cette situation est prévisible si je prends l’exemple de l’Espérance. Les signes de la dégradation étaient visibles depuis des années mais on n’a pas su les saisir. Je pense que la crise couvait depuis que Maâloul était à la tête de l’équipe. On a recruté à tort et à travers. Depuis rien n’a été corrigé et l’Espérance marche à reculons. Elle a perdu le statut de locomotive qui était le sien. Ceci étant, aucun club ne peut rester au sommet éternellement. Le cas du CSS est différent. Il possède un ensemble cohérent et compétitif mais quand on cède son meilleur attaquant et des joueurs repères l’on ne peut aspirer à l’excellence. Cependant il faut observer que le CSS offre cette possibilité à des joueurs de s’épanouir qui sortent d’échec dans leurs clubs d’origine. Je pense que les deux équipes vont se reprendre, c’est une question de temps. Mais j’ajouterai que les choses ne peuvent s’améliorer que lorsque qu’on aura installé les conditions optimales, c’est-à-dire professionnelles. Personnellement je ne crois pas à l’homme mais plutôt aux structures.
Mokhtar Tlili : "La FTF n'a rien ajouté au football et son échec est à tous les niveaux"
Si la Tunisie n'a pas de représentant en phase de poules de la Ligue des Champions ce n'est pas parce que celle-ci n'est plus accessible. Les éliminations de l'Espérance et du CS Sfaxien ont des causes différentes. Ce sont deux cas différents. Pour l'EST, c'est la fin d'un cycle. Les joueurs actuels n'ont plus les moyens d'apporter à l'équipe quoi que ce soit. Il y a également le facteur technico-tactique avec des choix techniques et tactiques qui n'étaient pas à leur place. Tous ces facteurs expliquent l'échec des "Sang et or" en Ligue des Champions. D'ailleurs, je ne suis pas surpris par cette régression, depuis deux ans, les résultats de l'EST en Ligue des Champions, baissent petit à petit. Depuis la victoire de 2011, l'Espérance ne parvient plus à faire sa loi et baisse chaque année d'un cran. C'est un cycle qui s'achève avec des joueurs qui ont tout gagné. Aujourd'hui, l'EST doit se réorganiser et doit surtout rectifier les défaillances techniques sur le plan de l'effectif. Au CSS, l'échec a d'autres causes. Il faut d'abord garder en tête le fait que les Clubistes sfaxiens n'ont pas de tradition en Ligue des Champions. Mis à part la finale perdue en 2006 face à Al Ahly d'Egypte, les Sfaxiens ne sont pas des habitués. De ce fait, leur élimination, en demi-finale, l'an dernier, a laissé beaucoup de séquelles. Ajouté à cela les déchirements internes, les problèmes autour du club, le départs de certains joueurs cadres qui n'ont pas été remplacés, les changements d'entraîneurs... Tous ces facteurs ont fait que le CSS a chuté très vite et d'une façon spectaculaire. Là aussi, cela demande une réorganisation sérieuse. Reste que la restructuration des clubs ne suffit pas ou plus. Les instances fédérales et en premier lieu la FTF ont une grande part de responsabilité. Lorsqu'on décide de faire jouer, en fin de saison, trois matches de championnat en neuf jours, ça devient un massacre. La FTF n'a rien ajouté au football et son échec est à tous les niveaux. Tout cela se répercute négativement sur les clubs.
Khaled Touati : "C’est une catastrophe, mais je ne suis pas surpris !"
Ne pas avoir de représentant en phase de poules de la Ligue des Champion, c'est, selon moi une catastrophe, mais je n'en suis pas surpris. Il n'y a qu'à comparer le niveau de notre football avec celui des autres nations africaines. Si on prend la dernière CAN, les quatre pays demi-finalistes venaient d'Afrique subsaharienne. En Coupe du monde 2014, l'Afrique a envoyé quatre pays d'Afrique noire et l'Algérie, qui est composée de 23 professionnels évoluant à l'étranger. Nous en Tunisie, on est le pays qui recrute le plus de joueurs africains, mais ce sont des joueurs de seconde zone, les meilleurs évoluant en Europe. On a délaissé la formation, on vit une inflation des salaires, on joue sans public, on a des terrains en piteux état, on a des entraîneurs étrangers qui n'apportent rien de nouveau, etc... Tous ces facteurs ont fait que le niveau de notre compétition a régressé et cela a influé sur le niveau de nos clubs. A titre d'exemple et en tant qu'ancien joueur, je peux dire que la présence du public est déjà un facteur déterminant. En Tunisie, quatre ans après la Révolution, le public n'est toujours pas autorisé à venir en masse. Autant arrêter le football ! Les joueurs sont surpayés et le pire c'est que dans une équipe on peut avoir un joueur qui touchera dix voire vingt fois plus que son coéquipier... Est-ce ça le professionnalisme ?! On a également beaucoup d'entraîneurs étrangers qui n'ont rien à faire en Tunisie et je considère que c'est un gaspillage d'argent. Depuis l'année dernière, je le crie haut et fort : "les équipes doivent apprendre à travailler à long terme". Que ce soit l'Espérance qui a l'expérience qu'il faut ou le Club Africain, qui a besoin de joueurs d'un autre niveau dans l'optique de sa participation en Ligue des Champions, l'an prochain, les clubs doivent se restructurer en fonction d'objectifs et non de résultats immédiats. On a également besoin de bonnes pelouses car sur les champs de patate que sont nos terrains actuellement, on ne peut pas arriver à grand chose. On a besoin de revenir sérieusement à la formation, on a surtout besoin de revoir les mentalités. Le professionnalisme a été bâtit d'en haut et aujourd'hui on découvre que les bases manquent. Aux instances fédérales de revoir le système de fond en comble quitte à tout reconstruire.
Nabil Kouki : "Ce n’est pas une catastrophe !"
Ne pas envoyer de représentant en phase de poules de la Ligue des Champions n’est pas une catastrophe. Ça peut arriver. Cela n’est pas arrivé depuis plusieurs années. A mon avis, nos représentants n’étaient pas dans leur forme habituelle leur permettant de passer l’écueil des tours préliminaires. L’Espérance, en phase de transition, n’était pas bien outillée pour aller loin dans cette compétition. Certains joueurs sont saturés, d’autres même lessivés et ne sont plus capables de donner le meilleur d’eux-mêmes. C’est la fin d’un cycle… C’est une année de préparation pour le club espérantiste qui reviendra encore plus fort la saison prochaine, j’en suis convaincu. Pour le CSS, les problèmes extra-sportifs et les changements fréquents d’entraîneurs ont laissé des séquelles sur l’équipe qui, à vrai dire, a perdu aussi ses meilleurs éléments, en cours de saison. Mais aussi bien le CSS face à Eulma que l’EST contre Al Merrikh étaient à deux doigts de se qualifier mais ont joué de malchance. Donc ce n’est pas aussi alarmant que cela semble paraître.
Skander Kasri : "Une période transitoire !"
Je crois que l’instabilité au niveau de la direction technique dans les deux clubs (EST-CSS) y était pour beaucoup dans cette double élimination. L’Espérance, tout comme le CSS ont épuisé pas moins de trois entraîneurs l’année précédente. Les "Noir et Blanc" ont perdu aussi cinq piliers et non des moindres de leur effectif. On ne peut pas facilement remplacer Ben Youssef, Kouyaté, Sassi, Maman et N’dong. Ajouter à ça la blessure de Moncer, vous obtiendrez une équipe décimée. Les problèmes administratifs qui secouent le club ont aussi influé sur les résultats… A l’Espérance, on passe par une période transitoire. Les retours non concluants de Yannick et Darragi, les départs de Mouelhi, Traoui, Chemam, Msekni (Iheb) et les mercatos ratés sont des éléments qui ont influé sur la marche du club. La venue de Desabre au Parc B n’a pas arrangé les choses, également. Je ne sais pas aussi si l’Espérance avait bien fait en faisant revenir Ben Yahia… Il est clair qu’avec De Morais, la formation a retrouvé une certaine dynamique et une meilleure animation offensive. Mais le coach portugais a souvent mal calculé, notamment à Khartoum et lors du derby face au CA. Un entraîneur tunisien, quel que soit son nom aurait permis à l’EST de composter son billet pour la phase de poules. De Morais est passé à côté. Il n’avait pas la culture de la compétition africaine et a mal géré son effectif, notamment en ce qui concerne l’animation défensive en faisant trop de calculs et en oubliant que l’Espérance doit imposer son style, quel que soit son adversaire…
Tarek Thabet : "Prendre exemple sur l’Algérie"
La régression des résultats de nos représentants en Ligue des Champions n’est que la conséquence logique de l’état de notre football qui a besoin, plus que jamais d’une réforme en profondeur. Une réforme qui devrait viser, en premier lieu, la formation et la post-formation. Ces dernières années, rares sont les jeunes joueurs qui sont parvenus à s’imposer dans leurs clubs et notamment au sein des quatre grosses cylindrées de notre championnat. Pour viser la victoire en Ligue des Champions, nos équipes recrutent à tour de bras alors qu’elles devraient surtout accorder leur confiance aux jeunes tout en les encadrant efficacement. Seule l’Etoile possède aujourd’hui un groupe jeune, homogène avec des jeunes à tous les postes qui sont en train de confirmer leur potentiel. Pour réformer notre football, on devrait prendre exemple sur l’Algérie dont toutes les équipes de Ligue 1 ont ostensiblement le même niveau. Ceci provoque une concurrence plus accrue et un niveau de championnat plus élevé. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le dernier vainqueur de la Ligue des champions est l’ES Setif.
Ridha Akacha : "Des circonstances atténuantes"
Je ne pense pas que remporter la Ligue des Champions soit devenue une chose inaccessible pour nos équipes. On peut dire qu’ils ont des circonstances atténuantes qui ont fait que, ces dernières années et mis à part l’EST, aucune autre équipe n’a réussi à tirer son épingle du jeu dans cette compétition. Quand vous regardez notre championnat, le calendrier bizarre qui fait que nos équipes disputent trois matches en une semaine avant d’être au repos forcé pendant trois ou quatre semaine, l’état de nos pelouses et les polémiques concernant l’arbitrage, ceci se répercute directement sur le niveau de nos équipes et surtout les quatre grands. Ceci n’empêche pas que le CA et l’ESS, qui disputeront la prochaine édition de la Ligue des Champions, seront de sérieux prétendants. Si notre championnat, et notre football de manière générale deviennent plus compétitifs, ça ne fera que le plus grand bien à nos représentants sur le plan continental.
Dossier réalisé par Chahir Chakroun, Abbes Ben Mahjouba, Maher Chaabane, Mohamed Zerni et Nidhal Jelassi



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