Il y a un an, le député Mohamed Brahmi a été froidement assassiné devant son domicile à l'Ariana. Ancien secrétaire général du Mouvement Echaab et membre actif du Front Populaire, Haj Mohamed Brahmi, comme l’appelaient tous ses amis, est tombé sous les balles de ses assassins, le 25 juillet 2013, le jour de la fête de la République.
Jusqu'aujourd'hui, les zones d’ombre et interrogations persistent sur l’identité des meurtriers et surtout des commanditaires.
Les faits
Il a été avéré que le corps du martyr a été criblé de 14 balles de 9 mm d’après le rapport du médecin légiste. Six balles ont été tirées sur Mohamed Brahmi au niveau de la moitié supérieure gauche du corps et huit au niveau des jambes.
Fait étrange, l’arme qui a assassiné Mohamed Brahmi est la même que celle qui a assassiné Chokri Belaid, six mois auparavant, le 6 février 2013 d’après des révélations du ministre de l’Intérieur Lotfi Ben Jeddou, lors d’une conférence de presse organisée dans le cadre de cet assassinat politique.
Il ne s’agit pas du même type d'arme de calibre 9 mm qui a atteint le défunt Mohamed Brahmi à 14 reprises, mais bien de la même pièce d'arme qui a été utilisée pour assassiner les deux martyrs. Information révélée par le ministère sur la base de l’empreinte balistique.
Les présumés assassins
Ben Jeddou a donné le signalement des meurtriers : deux personnes habillées en noir dont l’un portait une casquette rouge, qui étaient sur une moto Vespa noire lors du meurtre. Et selon le ministère de l’Intérieur, le principal suspect dans le meurtre de Mohamed Brahmi a été Boubaker Hakim, un salafiste extrémiste déjà connu des services de police pour avoir fait entrer des armes en Tunisie.
En état de fuite, Boubaker Hakim est le principal lien entre l’assassinat de Chokri Belaid pour lequel il est également impliqué et celui de Mohamed Brahmi. Les deux éléments - l’arme de calibre 9 mm et le suspect de Boubaker Hakim - deviennent ainsi les points d’ancrage de l’enquête sur l’assassinat de Mohamed Brahmi qui rejoint logiquement celle de l’assassinat de Chokri Belaïd.
Une liste des personnes impliquées dans les deux assassinats a été dévoilée par le ministère et mise à jour, à savoir Slimane Marrakchi, Marouane Haj Salah, Ezzedinne Abdelaoui, Ali Harzi, Ahmed Rouissi, Kamel Gadhgadhi, Lotfi Ezzine et Boubaker Hakim.
Boubaker Hakim : Est-ce vraiment lui le commanditaire ?
Dans la liste de suspects, publiée par le ministère de l’Intérieur, plusieurs noms sont déjà connus pour leurs activités djihadistes par les services de renseignements. Il s'est avéré aussi que Boubaker El Hakim, djihadiste franco-tunisien était fiché auprès des services judiciaires syriens et français. Fin mai 2013, son nom est dévoilé par le ministère de l’Intérieur et publié dans la presse tunisienne comme étant une des personnes recherchées dans les évènements du Mont Chaambi et l’affaire du stockage d’armes à Mnihla.
Des présumés assassins tués lors d'une opération
Les affrontements de Raoued du 3 février 2014, qui se sont soldés par la mort d’un caporal de la Garde Nationale et de sept terroristes, sont venus semer encore plus le doute. Sur la base des analyses de laboratoires et le prélèvement des empreintes, Kamel Ben Taieb Gadhgadhi, présumé assassin de Chokri Belaid, Aymen Ben Mohamed Ben Rebaï Bohri, Mohamed Nacer Ben Hedi Dridi, Alaeddine Ben Abdelwaheb Njahi, Haykal Ben Mohamed Ben Ali Badr, Ali Ben Mustapha Kalaï et Makrem Ben Manoubi Riahi ont été tués lors de cette opération.
Dans la nuit du 8 au 9 février 2014, quatre terroristes dont le principal suspect dans l’assassinat du martyr Mohamed Brahmi sont arrêtés, suite à une opération antiterroriste menée au quartier Ennasim à Borj Louzir dans le gouvernorat de l’Ariana. Parmi les personnes arrêtées, figurait, selon Mohamed Ali Laroui, le suspect principal dans l’assassinat de Mohamed Brahmi. Il s’agirait d’Ahmed Malki surnommé Soumali, arrêté par les unités spéciales.
Quel rôle pour Abou Iyadh ?
Le nom d’Ahmed Malki surnommé «Soumali» apparaît lors de l’opération de Borj Louzir. On ignore, cependant le rôle qu’il a joué dans l’assassinat de Mohamed Brahmi. Membre actif d’Ansar Achariaâ, ses liens avec Boubaker Al Hakim, le suspect numéro 1 dans le meurtre du député, le 25 juillet 2013, ne faisant aucun doute.
C’est ce qui avait été confirmé le 28 août 2013 par le ministre de l’Intérieur, lors d’une conférence de presse destinée à révéler, preuves à l’appui les détails des opérations ayant mené à l’élimination de Chokri Belaid et de Mohamed Brahmi ont été révélés.
S’agissant de l’assassinat de feu Chokri Belaid, Mustapha Ben Amor, Directeur général de la sûreté publique avait déclaré que sa liquidation, le 6 février 2013, a été planifiée un mois avant le passage à l’acte, mais que l’intervention du martyr lors d’une émission de télévision aurait précipité sa mort.
En effet, selon le ministère de l’Intérieur Kamel Gadhgadhi a demandé l’autorisation à Abou Iyadh de passer à l’acte sans attendre la date fixée, soit quelques jours après la diffusion de l’émission en question.
S’agissant de l’assassinat de Mohamed Brahmi, le 25 juillet, le ministère de l’Intérieur cite plusieurs noms directement impliqués dans ce meurtre dont Ahmed Malki, un voisin du martyr à la cité Ghazala, à l'Ariana. Abou Iyadh qui se retrouve en tête de liste des personnes impliqués dans les deux assassinats politiques.
L’alerte cachée de la CIA
Dans le traitement de cette affaire, un autre élément de taille est apparu en septembre 2013. Taieb Laguili, membre de l’initiative nationale en charge de faire la lumière sur les assassinats de Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, révèle l’existence d’un document du ministère de l’Intérieur prouvant que les autorités tunisiennes ont été informées par des rapports de la CIA sur des menaces d’assassinat contre Mohamed Brahmi, le 14 juillet, soit onze jours avant le drame.
Le ministre de l’Intérieur finit par reconnaître son erreur, le 12 septembre. Cependant, Ben Jeddou a affirmé n'avoir pas été mis au courant de l’existence de ce document interne. Le document de la CIA prouve que la direction générale de la sûreté publique a bien été avertie dès le 14 juillet des menaces pesant sur Mohamed Brahmi et sur la planification d’un assassinat par des éléments salafistes.
Un an après, l’enquête ouverte par le ministère de la Justice n’a pas encore révélé les commanditaires de l'assassinat de Mohamed Brahmi. Et qui est-ce qui a caché, délibérément le document de la CIA au ministre de l'Intérieur.
Walid Ben Youssef