Nous célébrons la Achoura - Origines juives, ferveur chiite, rituels sunnites et coutumes tunisiennes

Nous célébrons la Achoura - Origines juives, ferveur chiite, rituels sunnites et coutumes tunisiennes
National
print



Jusqu'aux années 60, la Achoura faisait partie des jours officiellement fériés. Et même si a elle perdu ce caractère, cette fête continue à être respectée par les familles qui sont très nombreuses à se rendre au cimetière en ce jour. La Achoura intervient le dixième jour du mois de Moharrem, soit dix jours après l'avènement du nouvel an hegirien. D'ailleurs, le mot Achoura signifie le dixième, en référence aux jours du mois de Moharrem. Et cette année, la Achoura sera célébrée le jeudi 14 novembre qui correspond au dixième jour du mois de Moharrem.

QUELLE EST L'ORIGINE DE LA ACHOURA ?

Selon les sources du hadith qui relatent les faits et gestes du Prophète, la signification initiale de la Achoura varie selon ceux qui la rapportent. Il est ainsi dit que le Prophète, allant vers la communauté juive le jour de Yom Kippour, demanda pourquoi les juifs jeûnaient-ils en ce jour. On lui répondit que c'était en souvenir de la victoire de Moise sur Pharaon et pour célébrer la délivrance du peuple juif et son exode d'Egypte. C'est dans ce contexte que le Prophète recommanda de jeûner cette journée afin de s'inscrire dans la tradition de Moise. Plus tard, le Prophète demanda de jeûner deux journées pour la Achoura, les neuvième et dixième jours de Moharrem. Selon d'autres sources, la Achoura initiale célébrait l'accostage de l'Arche de Noé. D'autres sources encore parlent de se souvenir de la sortie d'Adam du paradis. Toutefois, c'est la continuité de la tradition mosaïque qui semble la source la plus plausible. Ainsi, la Achoura aurait des origines juives et serait un des multiples points de rencontre entre les traditions hébraïques et musulmanes. En ce sens, la Achoura serait d'abord marquée par un, deux voire trois jours de jeûne. Ce jeûne n'est pas obligatoire. Il répond à une recommandation et demeure facultatif. Ceci a pour implication que la Achoura est une célébration mineure pour les musulmans sunnites. Il n'en reste pas moins, comme nous le verrons, que plusieurs rituels et usages sont lies à cette fête de la Achoura.

SIGNIFICATION DE LA ACHOURA POUR LES CHIITES

Pour les chiites, cette solennité du calendrier musulman commémore le martyre des petits-fils du Prophète : Hassen et Hussein, tous deux morts dans la bataille de Kerbala en l'an 61 de l'Hégire qui correspond à l'année 680. C'est précisément le 10 octobre 680 qu'a eu lieu la bataille de Kerbala, correspondant au 10 Moharrem 61. C'est au cours de cette bataille que l'imam Hussein et 72 membres de sa famille et partisans ont été massacrés par les Omeyades. C'est de cette bataille que date le divorce entre chiites et sunnites. En ce sens, le rituel de la Achoura diffère puisque dans ce cas le jour de jeûne ouvre une période de deuil de quarante jours. Un important pèlerinage a lieu à Kerbala, en Irak et le deuil chiite prend des dimensions spectaculaires. En effet, des flagellations collectives ont lieu pour expier les fautes des ancêtres qui n'ont pas su protéger l'imam Hussein. Au rythme des tambours et des chants religieux, les pèlerins se mortifient jusqu'au sang et pleurent la fin tragique de Hassen, Hussein et leurs compagnons. Quelles furent en Tunisie, au temps de la dynastie fatimide, les rituels célébrant la Achoura ? Peu de sources parlent de cette parenthèse chiite de l'histoire de Tunisie qui eut alors Mahdia pour capitale. Dans cet esprit, pour la petite communauté chiite qui existe de nos jours en Tunisie, cette Achoura a des significations différentes. Ces chiites tunisiens qui demeurent aussi secrets que mystérieux se seraient convertis au contact d'Iraniens mais aussi d'autres Arabes, notamment Saoudiens et Irakiens.

COUTUMES TUNISIENNES DE LA ACHOURA

Plusieurs coutumes caractérisent la Achoura. Essayons d'en passer en revue quelques unes tout en notant que ces usages varient selon les régions. Tassoua, Achoura et Hadoucha Le terme de Tassoua désigne la veille de la Achoura. Le terme signifie littéralement le neuvième jour. Dans certaines familles, c'est un jour de jeûne rituel. Comme pour le jour de la Achoura, on mangera une nourriture maigre et on s'abstiendra de préparer un couscous ou tout autre plat festif. La coutume est d'égorger une volaille, de consommer des galettes de pain sans levure et aussi des fruits secs. Deux formules anciennes expliquent l'origine de ce rituel. En premier lieu, l'expression "El ftir ou men ytir" qui signifie en substance une galette et un volatile. Une seconde expression à base d'onomatopées dit "Tech, fech ou ma yokhrej mel ech". Ce qui signifie grosso modo : tout ce qui sort d'un nid. Et ces deux expressions se référent aux poulets qu'on consomme le jour de la Achoura. Le mémorialiste Chedli Ben Abdallah relie ces expressions à la bataille de Kerbala dont personne ne se doutait de l'imminence. Pour cette raison, on se suffit d'un repas de fortune quitte à se contenter d'une poignée de fruits secs. Dans plusieurs régions, on célèbre dans la foulée de la Achoura, le onzième jour de l'an qui est nommé Hadoucha qui, en dialectal, provient de onze et désigne ce rite du onzième jour. Plusieurs usages sont liés à cette Hadoucha. Ainsi, dans certaines familles, on ne lavera la peau de l'agneau sacrifié pour l'Aïd qu'après la Achoura. Au Sahel, on prépare un mets populaire nommé Maslouqa. Ce plat consistant est un mélange de fèves, lentilles, pois chiches et blé. Le tout est arrosé d'harissa et d'huile d'olive. Cette préparation est typique de la Hadoucha. Louhliba et Flous el gez Plusieurs jours avant la Achoura, les enfants ont pour usage de réunir des branches et du petit bois afin de le brûler le jour de la Achoura. Ces grands feux sont nommés louhliba et les enfants vont jouer à sauter par dessus en poussant des cris de joie et en entonnant des chants. Encore une fois, cette coutume est rapprochée de la bataille de Kerbala. En effet, les crépitements du feu évoqueraient l'ardeur de la lutte et la fureur des combattants. C'est sur un terrain vague qu'est érigé le bûcher. On en construisait parfois deux différents avec l'un beaucoup plus petit pour initier les enfants en bas âge. Auparavant, les gosses auront sillonné le quartier en chantant : "Flouss el gez ya laouled" (L'argent du pétrole, les gars !). En effet, les enfants collectent de l'argent pour acheter du pétrole et en asperger la louhliba afin que les flammes soient plus hautes. Les enfants ont aussi pour coutume, surtout dans la région de Gabes, de faire le tour des maisons en présentant à chaque fois un panier en osier ou fait de roseaux. Les adultes devront remplir le panier de menue monnaie et de friandises. Ce petit panier est d'ailleurs désigné par le terme de Achoura. D'ailleurs, la Achoura est souvent un moment de joie pour les enfants. A ce titre, les abords des cimetières reflètent cette liesse avec des stands de friandises et de jouets. Jour de deuil et de liesse En signe de deuil, hommes et femmes mettent du khol autour de leurs yeux. On rend visite aux défunts de la famille. Au cimetière, l'ambiance est d'ailleurs autant recueillie que festive. Les zaouias sont aussi visitées et on allumera des bougies autour des tombes des marabouts. Le rite le plus emblématique consiste pour les familles à visiter les cimetières. C'est l'élément le plus visible de la Achoura et les lieux de sépulture seront vivants et envahis par des foules joyeuses, accompagnées de nombreux enfants. Le Jellaz va connaitre une de ses journées les plus animées avec beaucoup de visiteurs qui viennent déposer du pain, du millet et des figues sèches sur les tombes. A cette occasion, on blanchira les tombes à la chaux.



André Parant juge nécessaire de préserver les acquis démocratiques en Tunisie

Précédent

Tunisie : Un ancien secrétaire d'Etat condamné à trois ans de prison

Suivant