Le jour même où des milliers de Tunisiens, essentiellement des diplômés, ont manifesté à Tunis pour réclamer d’une seule voix le droit au travail et à la dignité, l’Institut arabe des chefs d’entreprises (IACE) publie un communiqué où il déplore le manque de main-d'œuvre et met en garde contre les conséquences de la pénurie sur l’économie du pays (qui compte près de 750 000 personnes sans emplois). Selon le communiqué, cette pénurie concerne pratiquement toutes les activités industrielles et agricoles et touche au domaine du tourisme malgré la crise qui a affecté le secteur ces deux dernières années. L’IACE envisage d’organiser une table ronde le 5 octobre pour réfléchir sur les causes de ce phénomène et proposer des solutions.
La publication de ce communiqué le jour de la manifestation des chômeurs, le 28 septembre, ne peut pas être fortuite.
Tout d’abord, sa publication ne se justifie pas par à une réunion ou rencontre ayant porté sur la question. Ensuite, il n’est pas d’usage de publier un communiqué pour décrire une situation sociale ou économique alors que le communiqué sert généralement à informer le public sur des décisions et des prises de position. À travers ce communiqué, l’Institut semble vouloir déculpabiliser les chefs d’entreprises accusés de ne pas faire assez et de ne pas s’impliquer suffisamment dans les créations d’emploi. En faisant état de la pénurie de main-d'œuvre, l’Institut donne l’impression qu’il fait assumer une part de responsabilité aux demandeurs d’emplois refusant les offres qui leurs sont faîtes malgré le niveau élevé des salaires proposés, toujours d’après le communiqué.
Nonobstant les intentions et les motivations des uns et des autres, ce communiqué est une occasion de poser le problème de l’emploi autrement que sous l’angle des revendications, des promesses et des solutions stéréotypées qui ont démontré leurs limites. Existe-t-il des potentialités, des opportunités et des besoins sur le marché qui sont inexploités ou ne le sont pas suffisamment ?
D’après le communiqué, la réponse ne peut être qu’affirmative bien que ce communiqué ne comporte ni chiffres, ni données palpables, ni détails sur la nature de la main d’œuvre qui fait défaut pour pouvoir apprécier l’ampleur de la situation critiquée. Mais le véritable exercice est de trouver une explication à cette situation paradoxale.
Au premier chef, la responsabilité incombe aux intervenants sur le marché de l’emploi et notamment les bureaux de l’emploi qui se contentent d’enregistrer les demandes et de mettre en relation l’entreprise et le demandeur. L’effort qui leur est demandé dépasse de loin l’affichage des offres reçues et la prise en charge des dossiers déposés.
Au-delà de leurs tâches routinières, il leur est indiqué de scruter les besoins des entreprises, de leur proposer les profils adéquats, apporter aux demandeurs le conseil et l’assistance nécessaire pour accéder à l’emploi sollicité, entretenir des relations soutenues avec les entreprises et autres intervenants sur le marché, défendre les dossiers auprès d’eux, favoriser des partenariats à des fins d’employabilité et bien d’autres actions qui nécessitent au préalable une maîtrise de la situation du marché dans le secteur d’intervention.
Le refus de l’offre par le chômeur est une hypothèse qui peut arriver. Mais lorsque l’attitude est observée à une grande échelle de la population concernée, l’attitude devient phénoménale et mérite une étude sérieuse à laquelle devront prendre part des sociologues. Une étude dans ce sens est plus que souhaitable pour pouvoir cerner les tenants et les aboutissants de ce phénomène qu’il faut prendre au sérieux.