Mustapha Kamel Nabli , gouverneur de la banque centrale, a été aujourd’hui l’invité de l’Assemblée nationale constituante qui s’est réunie en séance plénière pour poursuivre l’examen de la décision du Président de la république concernant sa révocation. S’adressant aux députés de l’assemblée, il a mis l’accent sur le côté politique de cette décision prise en l’absence d’arguments sérieux et ce, dans la seule et unique visée de réduire la banque centrale à une instance exécutive au service du gouvernement. Selon Nabli, les arguments présentés au cours de la séance d’hier par Ridha Saidi , ministre délégué auprès du 1er ministre chargé, pour justifier la décision de révocation , ont été imaginés après que la décision eut été prise . En outre, poursuit-il, ces arguments n’ont aucun fondement dans la réalité et ne se justifient à aucun titre sauf à régler des comptes politiques au détriment de la mission de la banque centrale et de son autonomie. Pour le démontrer, le gouverneur de la Banque centrale est revenu sur chacun de ces arguments pour présenter ses commentaires et remarques à leur propos.
1-Relations tendues entre le gouvernement et la BCT :
Le gouverneur et les responsables de la banque centrale ont toujours été coopératifs chaque fois qu’ils devaient contribuer aux travaux du gouvernement et chaque fois qu’il leur a demandé d’apporter leur concours à sa politique économique . Aucun incident n’est survenu dans le cadre de ces relations et aucun signe de tension ou de manque de confiance n’a marqué ces relations.
Selon Kamel Nabli, l’origine du malaise réside dans l’insistance des responsables de la banque centrale sur l’indépendance de l’institution, notamment lorsque le gouvernement à inscrit dans son programme d’action des questions relatives à la politique monétaire qui est du ressort exclusif du conseil d’administration de la banque .
2- Abaissement de la note souveraine de la Tunisie
Le gouvernement rejette sur la banque centrale la responsabilité de la dégradation de la note attribuée à la Tunisie par l’agence de rating Standard and poor’s . Or, d’après Nabli, l’Agence, qui n’a pas mis en cause dans son rapport la politique monétaire de la BCT, s’est appuyée sur la dégradation de la situation économique, l’incapacité du gouvernement à y faire face et l’absence de visibilité. Il a ajouté dans ce même cadre que les représentants de l’Agence, venus auditer la situation économique dans le pays, ont trouvé des difficultés à obtenir des informations et à rencontrer des responsables pour les édifier.
3- Insuffisance des résultats au niveau de la politique monétaire
A ce niveau, le gouverneur de la banque centrale a indiqué que le ministre n’a pas démontré de manière palpable et à partir de données chiffrées et objectives en quoi les résultats de la politique monétaire ne seraient pas satisfaisants. Bien au contraire, il estime que malgré la déconfiture de plusieurs secteurs, le repli des investissements et le fléchissement du revenu national, la banque centrale est parvenue à préserver l’équilibre du marché monétaire , à assurer un taux de couverture acceptable en termes de change et à garantir la distribution du crédit dans des conditions normales .
4-Absence de réforme au niveau du marché monétaire et à l’échelle du secteur bancaire
En réplique à cet argument , le gouverneur de la banque centrale a rappelé les mesures prises dans le cadre de la rationalisation de la politique monétaire, du renforcement du rôle de l’institution en matière de contrôle et de supervision, et de l’amélioration de la gouvernance dans les banques en réhabilitant la mission du conseil d’administration et en imposant de nouvelles normes de gestion prudentielle .
5- Exagération de l’évaluation de la situation économique
A ce propos, le gouverneur de la banque centrale a précisé que les communiqués mensuels du conseil d’administration de la banque relative à l’évaluation de la situation économique dans le pays reposent sur des critères objectifs et visent à éclairer sur la réalité de la situation. Il a affirmé que la banque centrale ne doit pas camoufler la réalité pour faire plaisir aux politiques et les aider dans leur campagne électorale et que les instances internationales qui ont leurs moyens de juger la situation économique dans le pays, ne feraient pas confiance aux autorités et responsables du pays lorsque les données qui leur sont présentées ne sont pas fiables .
6- Défaillance au niveau du rapatriement des biens mal acquis
Mustapha Kamel Nabli a mis en exergue les efforts déployés par la banque centrale depuis le début de la révolution pour le blocage et la confiscation des avoirs financiers et des dépôts logés dans des banques tunisiennes au nom du Président déchu, des membres de sa famille et des personnes impliquées dans la corruption sous son régime. Quant au rapatriement des biens mal acquis, il a indiqué que la mission est attribuée à une commission nationale dont il est le président. Cette commission comprend les ministres des finances, de la justice et des affaires étrangères qui assument collégialement la responsabilité des choix, des décisions et des résultats. De ce fait, si la défaillance devait conduire à la démission, celle-ci doit être prise à l’encontre des membres précités et pas uniquement le président.
Il a ajouté dans ce même cadre que les reproches formulés au sujet du rapatriement des biens mal acquis dénotent d’’un manque de connaissance des procédures et des lois et que dans certains dossiers, la Tunisie n’a pas été coopérative pour activer les démarches. Il a cité, à ce dernier titre, le refus du ministère de la Justice d’engager une action judiciaire au Liban pour obtenir une décision exécutoire de rapatriement de sommes d’argents logées dans des banques libanaises.
L’intervention du gouverneur a été interrompue pendant quelques minutes par des députés de la Troïka, lorsque ce dernier a évoqué la gravité de la situation économique et les difficultés provoquées par les coupures d’eau et d’électricité.