La nouvelle dégradation de S&P: La sécurité l'emporte sur les chiffres

La nouvelle dégradation de S&P: La sécurité l'emporte sur les chiffres
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Et d'ailleurs, on l'avait parfaitement pressenti. Les fortes perfusions monétaires n'ont pas pu amorcer la pompe dans les conditions de reprise espérées. Le PIB a plongé en récession et quelque soit l'approche des analystes, à prix constants ou à prix courants qu'importe, le résultat à fin 2011 a clôturé sur -1,8% pour les uns et -2,2% pour les autres. Entre temps, le chef du gouvernement vient de parler de 1,2% pour le premier trimestre 2012, à l'occasion des négociations avec l'UGTT, alors qu'aujourd'hui, à la moitié de l'année, le programme économique peine à démarrer. Peut-on mettre tout sur le dos de la gouvernance actuelle? Pas vraiment, car la nouvelle direction n'a pris la main qu'aux derniers jours de l'année passée. Et donc, les chiffres (BB) que Standard &; Poor's a avancé ne devraient pas être imputés uniquement à la nouvelle gouvernance. Ni même à l'ancienne, car celle-ci n'a gouverné que 7 mois, mais a quand même réussi à amortir le choc, dont les conséquences auraient pu se poursuivre au rythme du premier trimestre 2011, qui avait déjà accusé un recul de -8%. Quoi de plus normal qu'à la suite d'une révolution, à laquelle s'est additionnée celle, connexe, de la Libye, il y ait un passage à vide. Or en abaissant déjà la note souveraine de notre pays, S&P, qui tire sur tout ce qui bouge, n'a pas raté l'occasion de nous "exécuter", déjà une première fois, pour récidiver vers la fin de l'été 2011 et de terminer aujourd'hui de nous achever en nous postant à un grade "spéculatif" sur la place financière internationale. En réalité, les bailleurs de fonds, qui observent en ce début d'été les chiffres annoncés avec une faible croissance, ont peut être d'autres raisons de craindre le site tunisien. Tentons une explication. D'une part, les prémisses de reprise depuis le début de l'année 2012 ne semblent pas tout à fait convaincantes. Ni la BCT, ni l'INS n'ont sorti à ce jour, les chiffres sur ce que pèse réellement (à prix constant) le PIB à fin mars et si possible à fin avril. Car, en lisant à l'envers les notes que publie la BCT, on s’aperçoit en effet que notre déficit commercial ne cesse de se creuser en raison d'une Europe, elle-même, déglinguée. C'est que nos réserves en devises, qui à la normale devraient couvrir 6 mois d'import, sont actuellement sur la limite rouge des 100 jours d'importation. D'autre part, à force d'injecter des dinars tout neufs dans une économie grippée, cela a finalement abouti à exacerber l'inflation. Celle-ci est déjà au double de ce qu'elle était à fin décembre 2011et se situe déjà à quelque 6%. Plusieurs secteurs qui travaillent pour l'export peinent encore et le tourisme qui semble faire un effort, reste lui aussi au stade du cahin-caha malgré les amphétamines à forte dose qui lui sont prescrites... Pour autant la véritable raison est ailleurs. C'est que la situation sociale et politique approche de la limite du tolérable. Sécurité et stabilité d'abord Dans un rapport émanant de l'ambassade américaine, à la mi-avril dernier et qui a été largement diffusé sur les réseaux, sociaux, on lit notamment : " les protestations politiques, les arrêts de travail, des barrages routiers et autres perturbations publiques continuent de se produire. Des manifestations ont dégénéré à plusieurs reprises en affrontements violents entre la police et les manifestants, causant des morts, blessures et dégâts matériels considérables" ..."les citoyens américains sont priés de rester attentifs aux développements locaux de sécurité et d'être vigilants quant à leur sécurité personnelle"... " Le ministère de l'Intérieur...a confirmé que le groupe avait des liens avec Al-Qaida au Maghreb Islamique et les trafiquants d'armes connus" . Un mois plus tard, l'ambassadeur des États Unis, dans une tournée qu'il effectuait dans le sud, a pu constater de visu que la situation restait précaire, puisqu'il a failli être lui même, agressé. Or ce genre de faits et rapports tombent fatalement entre les mains des analystes américains et en premier lieu S&P dont la mission est d'informer du risque souverain dans tous les États où les investisseurs américains placent leur épargne, notamment via ces fameux "investment funds", qu'ils sont censés fructifier, pour servir notamment d'allocations vieillesse pour les "retraités". C'est peut-être cet aspect des choses qui a le plus compté sur la notation du risque souverain tunisien. Car en lisant ses remarques avec attention, l'agence signale indirectement que dans des conditions de stabilité (elle considère les prochaines élections), la reprise en main des tous les azimuts pourrait faire rebondir les données économiques, qui en sont l'épiphénomène. Certes, beaucoup vont s'attaquer aux agences de notation, car elles peuvent enfoncer les États en provoquant la hausse des coûts de rémunération de leurs dettes (6% pour l'Espagne et l'Italie, 11% pour le Portugal voire jusqu'à 30% pour la Grèce). Pour autant, il y a fort à parier qu'à un certain seuil de hausse des coûts de rémunération de la dette, le risque de ne pas pouvoir honorer les créances en principal et intérêts est une fatalité mathématique. Cet "effet de massue" risque de conduire à une situation de défaut (faillite) pour les économies fragiles alors que la dette est censée induire un coup de pouce salvateur afin de susciter un effet de levier... Or ce n'est pas une croissance faible qui pourra le faire si elle ne dégage pas suffisamment de ressources pour rembourser. C'est pour cela que les agences de notation prennent en considération tout autres éléments, notamment la stabilité du pays, la qualité de gouvernance politique et son aptitude à garantir une sécurité sans la moindre faille, la confiance des investisseurs locaux, etc., pour noter la fiabilité d'un État en tant que tout, quand bien même souverain, surtout à l'ère de la globalisation et de la mobilité-volatilité des capitaux... Entre charité et bailleurs de fonds, il faut se définir clairement et agir en conséquence.

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Khemaies El Bejaoui, ancien universitaire en finance (Tunis et Alger), ex-chef de cotation boursière en Tunisie et expert auprès de la Banque mondiale.




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