Le billet de Hatem Bourial - Je suis libre mais je me soigne…

Le billet de Hatem Bourial - Je suis libre mais je me soigne…
Chroniques
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C’est connu : la liberté ne se décrète pas ! C’est pour cela que je me sens à l’étroit dans ces nouveaux habits qui nous ont été taillés le 14 janvier dernier… C’est vrai, je suis libre, sensiblement plus libre qu’il y a quelques mois. Je peux écrire sans que mes lecteurs aient besoin d’un décodeur pour comprendre mes allusions. En théorie, je peux créer avec mes camarades ou mes frères une association, un club ou un parti politique. Du jour au lendemain, je suis redevenu électeur et éligible. En principe, je ne chuchote plus dans les coins et je peux exprimer haut et fort mes idées. Si cela me chante, je peux participer à un sit-in, à une grève de préférence illimitée et à tout autre rassemblement de protestation. Bref, je suis libre ! Je suis libre mais je suis obligé de me soigner. Il ne faut pas que je succombe à l’ivresse de la liberté. Avant de trop m’exciter, il faut que je regarde bien autour de moi et fasse attention à ce que je dis. Je suis libre mais il faut me taire lorsque les hautes instances font des coups tordus. Je suis libre mais il faut me taire lorsque des intégristes investissent nos mosquées et les transforment en socle de propagande. Je suis libre mais il faut me taire lorsque je croise des petits criminels sous l’emprise de l’alcool et des stupéfiants. On ne sait jamais un coup est vite parti… Je suis libre mais il faut me taire lorsque je vois mon voisin ajouter un troisième étage à sa maison. Après tout, pourquoi cela me concernerait-il ? Je suis libre mais il faut me taire lorsque je circule en ville. De quel droit relèverais-je incivilités et vandalisme ordinaire ? Je suis libre mais il faut me taire lorsque pérorent les juristes et les politiciens. Ils ont déjà confisqué la révolution et deviennent de plus en plus agressifs lorsqu’un jeune ou un provincial les interpellent. Dès lors comment leur résister ? En gros, je suis libre de fermer ma gueule dans tous les cas que j’ai énuméré. Et comme tout cela me donne mal à la tête, je cesse cette douloureuse liste qui recense quelques défaites des citoyens ordinaires. Je vais de ce pas exercer ma liberté dans le supermarché du coin puis me calfeutrer chez moi devant la télé après avoir mis la clim à plein tube. Au mieux, je pourrais engueuler ma femme et les gosses, question de montrer qu’il me reste encore une parcelle d’autorité et un peu de prise sur ma liberté. Au pire, je pourrais consulter un médecin et lui demander si mon silence est pathologique, atavique ou grégaire… Vous voyez les gars, nous sommes libres mais tout le monde se soigne comme il peut !



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