Notre révolution ne s’effacera pas avec de la peinture blanche

Notre révolution ne s’effacera pas avec de la peinture blanche
National
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Ce qui s’est passé en Tunisie est historique à plus d’un titre. Une révolution authentiquement populaire entraînée par une jeunesse courageuse. Des revendications dignes et justes qui rompent définitivement non seulement avec l’ancien régime mais surtout portent la voix d’une société arabe aux avants postes de la modernité loin, très loin de toutes les représentations rétrogrades dans lesquelles nous avaient enfermés les despotes et leurs alliés occidentaux. La société tunisienne, une fois de plus dans son histoire, est en train d’inventer quelque chose, qui à l’instar des premières années de notre indépendance, va pour longtemps servir de laboratoire à toutes les sociétés arabes qui se libèrent une à une de leur régime autoritaire et kleptocrate. Notre révolution c’est à la fois 1789 mais aussi Mai 68. Cette croisée des chemins incarne à elle toute seule l’aggiornamento tant attendu du monde arabe qui ne tardera pas à se propager partout y compris dans les sociétés occidentales malades de leurs propres démocraties. L’évènement Tunisien par sa radicalité, son ampleur, sa soudaineté et son exemplarité n’a pas manqué de transformer durablement tout le monde arabe et n’a d’équivalent moderne que la chute du mur de Berlin. Il annonce enfin le début du XXième siècle qui contrairement à ce que voulaient nous faire croire les tenants du choc des civilisations n’a pas débuté avec les attentats du 11 septembre. Bien au contraire, ces attentats ont marqué le point d’orgue d’un modèle dont les soubresauts se sont répercutés en Irak et en Afghanistan et qui vient d’être cassé net avec l’émergence et l’émancipation des sociétés civiles arabes, que certains voulaient garder muettes éternellement. Rappelons à tous ceux qui les minimisent que les sit-in de la Kasbah ont abouti tour à tour et de façon magistrale à chasser tous les rcdistes du gouvernement dont le premier d’entre eux, à dissoudre les deux chambres de la honte, à créer un rapport de force suffisamment puissant pour imposer l’élection d’une assemblée constituante et surtout à recréer le lien et l’unité du pays avec cette marche admirable de la liberté. Le symbole Berlinois En quelques semaines, la Kasbah a incarné ce fol espoir et cette lutte victorieuse. Cette place, comme la place Tahrir au Caire, est devenue un symbole dans le monde entier. Un symbole, dont la mémoire et la force, se sont inscrites sur les murs des ministères de la place qui pendant tant d’années ont incarné la dictature. Chacun de ses tags raconte cette émancipation et ce combat. Ils ont tous ensemble une valeur symbolique inestimable. Souvenons-nous des allemands qui ont abattu le mur de Berlin mais en ont gardé des pans entiers que le monde entier visite. Plus de vingt après, chaque écolier allemand y a effectué une visite scolaire et cette mémoire de l’oppression ne perdure que grâce à ces bouts de murs taggés, minutieusement préservés. Seulement pour Caid Essebsi, les tags de la Kasbah c’est de la saleté ! A peine nommé et avant même de constituer son gouvernement, le premier ministre a au cours du Week End fait « nettoyer » à la hâte la place de la Kasbah. Ce qui pour chaque tunisien, chaque arabe et chaque citoyen du monde était devenu en l’espace de quelques semaines le mur de Berlin arabe, est considéré par notre nouveau premier ministre intérimaire comme de la saleté. Monsieur le premier ministre, sachez que la vraie saleté a été nettoyée par les citoyens et les manifestants. Ce qui reste sur ces murs c’est notre honneur. Ces tags sont des cris qui résonnent encore dans nos têtes. Les avoir effacés est un scandale national. S’il avait voulu prouver sa réelle filiation avec la révolution citoyenne, il aurait tout fait pour laisser au moins une partie de ces murs briller de cette empreinte. L’effacement de cette mémoire vivante est une faute grave qui ouvre la porte à toutes les falsifications de l’histoire. Les révisionnistes ne vont pas tarder à nier la portée de ces évènements. Mais la peinture blanche n’effacera pas nos mémoires. C’est un mauvais calcul car nous resterons toujours vigilants. Qu’à cela ne tienne, partout dans le pays, pour faire vivre cette révolution qui nous rend si fière, l’urgence est à la conservation de ce patrimoine. Des places sont renommées par le peuple souverain. Les jeunes qui ont filmé cette révolte sur facebook se battent chaque jour pour continuer à écrire cette histoire et ne surtout laisser personne d’autre le faire à leur place. Ne nous y trompons pas, les pouvoirs, quels qu’ils soient, démocratiques ou non, n’apprécient pas qu’on leur rappelle que leur pouvoir ne procède que de la souveraineté du peuple. Voir ces ministres traverser la place de la Kasbah au milieu de ces tags, aurait été une façon admirable de leur rappeler leur vraie place. Les lieux sont magiques et plus forts que les censeurs La Tunisie a désormais une place à jouer dans le monde, grâce à sa jeunesse et son courage. Ce patrimoine révolutionnaire est à la fois notre mémoire vivante et notre avenir commun. Mêmes les touristes, habitués à se réfugier dans leurs hôtels, ne viendront plus par hasard. Qui, aujourd’hui, va à Berlin sans visiter le mur, sans admirer les graffitis et retisser le fil de cette mémoire qui nous relie à l’humanité et à la dignité de ses combats ? Préserver les mêmes symboles à la Kasbah était un devoir autant qu’une opportunité. Le premier geste de Monsieur Essebsi aura été de rater l’un et l’autre. Les lieux sont magiques. Ceux qui croient effacer à la hâte ces graffitis se trompent lourdement. On n’efface pas la mémoire des luttes. Elle remonte toujours à la surface avec encore plus de force. Bien au contraire, en écrivant l’histoire correctement et ensemble, on se donne de vraies chances de faire grandir cette démocratie naissante. Heureusement il n’y a pas que la Kasbah, partout ailleurs en Tunisie, nous aurons besoin de lieux de mémoire pour que plus jamais ne se reproduise l’impensable, pour que plus jamais ceux qui nous gouvernent oublient la force de notre peuple et pour que à jamais, les enfants qui naîtront aujourd’hui ne soient coupés du fil de cette dignité chèrement acquise par leurs parents. Voici quelques exemples des tags qui ont été effacés http://www.flickr.com/photos/47595972@N06/sets/72157626200361000/show/ L'intervention de Beji Caid Essebsi sur Al Jazeera. C'est au début, après 1 min 30, que BCE a annoncé que "la place de la Kasbah est devenu propre".




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